Nourrie de références historiques, la peinture de Giulia Andreani puise abondamment dans ses recherches – l’artiste a travaillé sur l’École de Leipzig en histoire de l’art contemporain à l’université Paris 4-Sorbonne. « Ce passage par l’histoire de l’art a été extrêmement formateur, confie-t-elle. Cela m’a permis de construire une pensée qui a structuré mon travail. Sans cela, je pense que je n’aurais pas continué à faire de la peinture. Je n’ai pas fini ma thèse, mais cela a relancé mon désir. » Rodée aux subtilités de la peinture à l’huile à l’Accademia di Belle Arti de Venise, sa ville d’origine, Giulia Andreani travaille aujourd’hui à l’acrylique, essentiellement avec du gris de Payne. Elle dit le rapport à la photographie « essentiel » dans sa peinture. « J’ai lu La Chambre claire de Roland Barthes avec un œil de peintre. Ma volonté est de faire de la peinture avec la photographie et avec l’histoire. Je suis une fille de Gerhard Richter et de Hannah Höch », poursuit-elle.
La dimension féministe revendiquée de son travail s’illustre dans la représentation des femmes et des enfants, « longtemps laissés pour compte d’une histoire patriarcale ». La grande toile Hex(e), « sorcière » en allemand, mais également référence à l’hexadécanal, substance chimique produite par les nourrissons stimulant l’agressivité maternelle, condition de la survie de l’espèce, associe sa propre expérience de la maternité et un hommage au rôle central des femmes qui donnent la vie, prodiguent des soins. Un propos inspiré par la lecture de Caliban et la sorcière de la militante féministe italienne Silvia Federici. Une autre grande peinture, Courage Modèle, reprend un titre de Bertolt Brecht pour traiter des injonctions faites aux mères. Au premier plan, une petite fille lit sagement. Il s’agit de Thérèse Clerc enfant, figure historique du Mouvement de libération des femmes (MLF). Giulia Andreani l’a rencontrée, chez elle, en 2014.
Dans l’exposition du prix Marcel Duchamp, l’artiste montre en outre un portrait d’enfant au visage poupin, intitulé Boys don’t Cry. Son regard fixe évoquera aux plus observateurs celui d’un dirigeant sous les feux de l’actualité. Giulia Andreani cite à son propos la nouvelle de Jean-Paul Sartre, L’Enfance d’un chef (1939). Sont également exposés une Mariée (très duchampienne) inachevée, comme défigurée, dénonciation à peine voilée des violences conjugales, et Les Sentinelles, trois sculptures en verre de Murano – représentant Lucienne Heuvelmans, première femme grand prix de Rome en sculpture en 1911, Valentine Prax, qui travailla dans l’ombre de son mari, Ossip Zadkine, et Hannah Höch.
« J’ai réfléchi à la manière dont les œuvres allaient dialoguer, mais aussi raconter quelque chose, explique Giulia Andreani. Le degré de narration est toujours à son acmé dans l’espace.» Trois tableaux sur la question du genre et du travestissement complètent l’accrochage : Honoré de Balzac tatoué, Vladimir Maïakovski tout en cape et chapeau, et Suzanne Duchamp (ou Rrose Sélavy?) avec des airs de Michel Blanc dans le film Tenue de soirée de Bertrand Blier. Titre de la trilogie : T’aimes pas ça, la peinture ?
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« Prix Marcel Duchamp 2022. Les nommés », 5 octobre 2022 - 2 janvier 2023, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.