Les enchères de design prospèrent. Ceci serait dû à l’apparition de nouveaux outils numériques, ainsi qu’aux prix inédits qu’ont atteints les œuvres des artisans les plus convoités du secteur. La maison de ventes Sotheby’s semblait prendre un risque en mai, lorsqu’elle présentait une étagère monumentale de Diego Giacometti parmi les objets phare de sa vente impressionniste et moderne à New York. L’objet aux accents bronze patine avait été commandé par l’éditeur parisien Marc Barbezat pendant les années 1960. Pourtant, celui-ci a été vendu 6,3 millions de dollars avec prime, soit deux fois le prix de son estimation maximale. Ce prix marque un record pour l’artiste.
Le jour suivant a confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un coup de chance. Les ventes de design du XXe siècle à Sotheby’s Paris avaient récolté 9,2 millions d’euros (soit 10,8 millions d’euros en comptant la prime d’achat), un nouveau record pour le marché du design parisien. À elle seule, la vente consacrée à Alberto Giacometti avait rapporté plus de la moitié de cette somme. 90 % des lots avaient été vendus plus cher que leur valeur estimée.
Selon une étude publiée en avril par l’agrégateur d’enchères en ligne Barnebys, le marché du design a triplé de valeur pendant les sept dernières années. L’agrégateur détermine que le chiffre de ventes annuel combiné des quinze plus grands designers (à savoir, les trois leaders du Danemark, la Suède, la Finlande, la France et les États-Unis) a augmenté de 330 % depuis 2009, jusqu’à atteindre 38,3 millions d’euros l’année dernière. L’étude se base sur les données de 31 millions de lots, vendus par 315 maisons de vente dans vingt-neuf pays, de 2009 à 2016.
« Un fort intérêt [envers le marché] et un meilleur accès [aux ventes] grâce au numérique sont à l’origine de la croissance massive du marché du design depuis la crise financière de 2008 », conclut le rapport. Christopher Barnekow, directeur général de Barnebys, affirme que ces données « prouvent qu’acquérir du design est un meilleur investissement que d’acheter de l’art, quel qu’en soit le prix ». Lancé par Christopher Barnekow et son collègue suédois Pontus Silfverstolpe en 2011, Barnebys a été le moteur de cette expansion du marché, ainsi que son bénéficiaire. Le moteur de recherche et l’agrégateur d’enchères d’art de la maison de vente ont été identifiés comme étant les logiciels qui connaissent la croissance la plus rapide, selon le rapport Hiscox Online Trade de cette année.
Cependant, une analyse détaillée du rapport permet de tracer un portrait plus nuancé de cette expansion du marché. Le chiffre d’affaires total des ventes des quinze designers a certainement augmenté pendant les sept dernières années, mais cela reflète davantage une hausse de l’offre plutôt que de la valeur.
La tendance des prix des créateurs indépendants est également moins contrastée que l’étude ne le laisse paraître. Si les trois designers français concernés par l’étude (Jean Royère, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand) ont certes connu une période prospère avec une augmentation de leurs ventes de 4 millions d’euros en 2009 à 13 millions d’euros en 2016, les autres créateurs n’ont pas été aussi constants.
Les ventes des trois leaders danois, Arne Jacobsen, Hans Wegner et Finn Juhl, ont atteint leur sommet en 2015, en passant de 1 million, en 2009, à 12 millions d’euros en 2015. Cette somme a toutefois baissé à 11 millions d’euros l’année dernière. Il en va de même pour les trois designers américains, Harry Bertoia, Vladimir Kagan et Isamu Noguchi, dont les ventes combinées ont connu une chute encore plus dramatique, en passant de 10 millions d’euros, en 2010, à 2 millions en 2009. Depuis, ces sommes ont bougé jusqu’à atteindre 7 millions d’euros l’année dernière.
Florent Jeanniard, directeur du département de design à Sotheby’s Paris, affirme qu’Internet a stimulé la croissance d’un marché de design jusqu’à le rendre bien plus large qu’il ne l’était. « Les sites online ont généré beaucoup de curiosité », dit-il. Mais la prospérité du secteur du design reflète en outre une évolution du mode de vie. « Il n’y a pas si longtemps que ça, les gens n’achetaient que de l’art », déclare-t-il. « À présent, ils s’intéressent à ce qui les entoure, de manière générale. »