La cour d’appel de Versailles se prononcera ce mois-ci sur une affaire civile portant sur deux découpages d’Henri Matisse, dont la valeur combinée est estimée à 4,5m$. Les héritiers de l’artiste soutiennent que les deux œuvres (et au moins cent autres) ont été enlevées du lieu où elles avaient été stockées.
Tout a commencé en 2008, lorsque les héritiers de Pierre Matisse (fils cadet de l’artiste et marchand d’art renommé à New York) ont réclamé la propriété de Palme blanche sur fond rouge et d’Escargot vert sur fond bleu. Ils ont ensuite porté plainte contre les présumés coupables, dont l’identité reste inconnue, pour fraude et rétention de biens volés à Paris, le 14 juillet 2009. Les œuvres ont alors été retirées de la vente « Impressionniste et Moderne » de Sotheby’s le 7 mai 2008. Leur valeur était estimée entre 1,2m$ et 1,6m$ et 2,5m$ et 3,5m$ respectivement.
Plusieurs partis sont impliqués dans l’affaire : des entreprises localisées à Hong Kong et au Panama, un marchand d’art parisien et les héritiers d’Henri Matisse. Le procès, qui est prévu en octobre, « mettra à l’épreuve toutes les œuvres d’origine douteuse », selon Georges Matisse, petit-fils de Pierre. Il ajoute que les héritiers ont pris des mesures judiciaires pour récupérer les œuvres qui leur appartiennent de manière légitime, mais aussi « par respect pour l’artiste, puisque beaucoup d’entre elles n’ont jamais été conçues pour être vendues » et finalement « pour une intégrité du marché de l’art».
Les découpages ont été retirés de la vente
Le 7 mars 2008, deux mois avant la vente prévue à New York, Sotheby’s a montré les découpages à Wanda de Guebriant, une experte d’Henri Matisse installée à Paris. Celle-ci a demandé plus d’informations sur leur provenance et sur l’identité du vendeur. Or, un représentant de Sotheby’s a éveillé des soupçons chez l’experte lorsqu’il a laissé entendre que les œuvres venaient de la collection d’un «marchand de couleurs» reconnu, Lucien Lefebvre-Foignet (celui-ci était à la tête d’une société de fournitures artistiques fondée vers 1880). Ceci est étonnant puisque Pierre Matisse dit ne jamais s’en être séparé. Wanda de Guebriant a donc conclu qu’elle ne serait pas à même de procurer un certificat d’authenticité avant d’avoir éclairci leur origine.
Le 28 mars 2008, Sotheby’s a reçu une lettre de Georges Matisse réclamant la propriété des découpages au nom de toute sa famille. La maison de ventes a donc retiré les œuvres. Rozven, une entreprise située à Hong Kong, a riposté en lançant un procès contre Georges Matisse. En effet, la firme (qui a été enregistrée à Hong Kong le 13mars 2008, au moment même où les œuvres étaient apportées à Wanda Guebriant), soutient que celles-ci ont été achetées à Côté d’Art, une entreprise dirigée par le marchand d’art parisien Jérôme Le Blay.
Rien n’est connu à ce jour du véritable propriétaire des œuvres. Nous savons cependant que Rozven appartient à Vausman, une entreprise installée à Panama, et que Jérôme Le Blay a été désigné son agent de ventes. En répondant à une ordonnance du tribunal, Rozven a avancé une facture datant du 13 mars 2008, attestant de l’achat des deux découpages par la firme.
Le 23 septembre 2010, la cour civile de Nanterre (Hauts-de-Seine) a rejeté le dossier de Rozven, déclarant que sa demande de « rester anonyme et son refus de justifier la provenance » des lots rendait l’entreprise « pleinement responsable de l’annulation de la vente à Sotheby’s ». Rozven s’est pourvu en appel en exigeant 2m€ de dommages à Georges Matisse. « Le refus de certificat est incompréhensible, puisque personne n’a nié l’authenticité des œuvres », ont déclaré ses avocats le 6 juillet devant la cour d’appel de Versailles.
L’héritière de Lefebvre-Foignet
La famille Matisse veut « tout simplement contrôler le marché », dit Jérôme LeBlay. Celui-ci rajoute que les découpages étaient, à l’origine, à Josette Lefebvre, héritière de la firme de fournitures artistiques. Ce serait d’ailleurs elle qui lui aurait donné les œuvres, après que celui-ci l’a aidé à mettre de l’ordre dans ses archives lorsqu’elle déménageait dans les environs de Paris. Jérôme LeBlay a produit un certificat signé par Josette Lefebvre déclarant que les découpages « venaient de la collection de son père, qui les possédait depuis au moins 1960». Wanda de Guebriant considère que cela est impossible, puisque plusieurs documents indiquent que les œuvres se trouvaient encore dans la demeure de Pierre Matisse à Nice en 1972. Ce n’est donc qu’à ce moment-là qu’il aurait pu les placer en stock chez la maison Lefebvre-Foignet.
La famille Matisse croit que les découpages ont disparu des installations où elles étaient conservées avec des centaines de dessins, gravures, gouaches et sculptures. Leurs premiers soupçons sont apparus lorsqu’un bas-relief de l’artiste a été mis en vente en 1990, en France, moins d’un an après la mort de Pierre Matisse.
Josette Lefebvre a rendu onze sculptures aux héritiers d’Henri Matisse, même si plusieurs centaines d’autres œuvres ont été récupérées par ses enfants et ceux de son compagnon Jean Robinot, un agent de transport. D’autres œuvres ont été cédées au boucher du coin (qui aidait Josette au jardinage) et à sa femme, tous deux des amis proches de celle-ci. Selon une facture retrouvée pendant l’enquête, elle aurait acheté les deux œuvres au boucher pour 136500€ le 7 février 2008, soit un mois avant qu’elles ne soient présentées à Wanda de Guebriant. Toutefois, ce dernier a signalé que ses actions partaient de bonnes intentions : l’enquête criminelle avait été révoquée en 2014, suite à la mort de Josette, le juge considérant qu’il n’avait pas pu être conscient du détournement de la propriété dont Josette Lefebvre est soupçonnée.