1916. Alors que les bombes explosent et que la guerre des tranchées fait rage en Europe, un groupe de poètes, d’artistes plasticiens et de danseurs venus de tous horizons se réunit à Zurich pour échanger, lors de soirées-performances au Cabaret Voltaire, sur leurs aspirations artistiques. Condamnant la guerre, la bourgeoisie et son matérialisme reflétés dans la production artistique de l’époque, ils se révoltent. De cette révolte commune naît le mouvement Dada.
Souvent dépeint comme un mouvement essentiellement nihiliste, Dada a également été influencé par la création « extra-occidentale » (1) qui a participé de leur rejet des conventions artistiques européennes et qui a aiguisé leur esprit de subversion : le musée de l’Orangerie à Paris s’attache à le démontrer au sein de la dense exposition « Dada Africa, sources et influences extra-occidentales ». Courte mais référencée, cette dernière s’organise en plusieurs parties au sein desquelles les œuvres d’artistes dadaïstes tels Hannah Höch, Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp, Hugo Ball, Tristan Tzara ou encore Marcel Janco se confrontent avec des statuettes, sculptures ou bijoux amérindiens, africains et asiatiques. Une première partie retrace – avec des explications en filigrane de la situation politique occidentale – la naissance du mouvement en Suisse en 1916, sa dispersion dans d’autres capitales européennes : à Paris avec Tristan Tzara, puis à Berlin avec le couple Hannah Höch et Raoul Hausmann.
On y découvre le Cabaret Voltaire, lieu où cette joyeuse troupe hétéroclite avait pour habitude de se réunir et où, bousculant les hiérarchies de genres, elle organisait des rendez-vous transdisciplinaires – sortes de pratiques pré-performatives. Danses, musiques, déclamations poétiques et déguisements y étaient placés sur un pied d’égalité et le nom du groupe, Dada, aurait été trouvé en ces lieux, lors de la lecture d’un dictionnaire. Onomatopée, le mot rappelle le vocabulaire de l’enfance, ses gazouillements qui peuvent revêtir plusieurs significations et se glisser partout.
La deuxième partie de l’exposition réalise une étude plus formelle des liens entre les œuvres d’artistes dadaïstes et l’art extra-occidental en les juxtaposant. Le visiteur découvre ainsi des séries de collages conçus par Hannah Höch, dans lesquels l’artiste mêle des images issues de sources européennes à d’autres extra-occidentales. Ces réalisations hybrides placent ces différentes sources au même niveau et remettent en question ce que l’Occident considérait comme un art « majeur » ou « mineur » en ce début de XXe siècle. Des masques créés par Marcel Janco pour plusieurs spectacles trônent aux côtés d’autres venus d’Afrique ou d’Asie et font pendant à la Hexentanz crispée de Mary Wigman projetée sur le mur d’en face. Les treize marionnettes que Sophie Taeuber-Arp confectionne pour le spectacle Le Roi Cerf (1918) ont des airs des poupées Katchina des Hopi d’Arizona (dont l’artiste a également copié les costumes pour d’autres projets). Si le sens de la déambulation n’est pas toujours facile à comprendre, ces juxtapositions formelles sont si évidentes que le visiteur n’a aucun mal à garder le fil de l’exposition.
Mouvement éclair s’éteignant dès 1921, Dada n’aurait pas eu la même résonance sans l’entremise du galeriste parisien d’avant-garde Paul Guillaume, l’un des tout premiers à montrer de l’art africain dans sa galerie qui a organisé, en 1919, la première exposition « d’art nègre et océanien ». Son entière collection est aujourd’hui conservée au musée de l’Orangerie qui, 101 ans après la naissance de ce mouvement iconoclaste et extravagant, rend hommage à un homme ayant participé à la réévaluation et revalorisation des arts extra-occidentaux.
(1) englobe les arts de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Amérique et de l’Extrême-Orient.