Le Museum of Modern Art (MoMA), à New York, procédera à un réaccrochage complet à l’occasion de sa nouvelle expansion en octobre prochain. La précédente présentation des collections permanentes dans les galeries consacrées à la période 1940-1970 proposait de se pencher sur les productions tardives d’artistes internationaux, tels que Geta Bratescu, Gego, Philip Guston, David Hammons, Joan Jonas, Ellsworth Kelly, Agnes Martin, Joan Mitchell, Gerhard Richter, Frank Stella ou encore Fischli et Weiss. Cette sélection inédite d’œuvres de maturité, intitulée «The Long Run» («Le Long Terme» ou «Le Long Cours»), avait ainsi pour ambition de proposer une lecture renouvelée, pour ne pas dire tout à fait alternative, du grand récit de l’art de l’époque, en préférant à la révélation des débuts une étude de l’évolution créative des protagonistes retenus par les commissaires Paulina Pobocha et Cara Manes. Parmi les sections les plus réjouissantes de l’exposition, «Rampant Abstraction» ou «Abstraction effrénée» montrait comment les codes de l’expressionnisme abstrait furent bousculés par une certaine excentricité iconoclaste.
Décisive fut la contribution de Ken Price à la mise à mal de la distinction traditionnelle entre art et artisanat.
Ainsi, à de grands tableaux chatoyants de Willem de Kooning, Elizabeth Murray ou Shirley Jaffe, étaient associées les audacieuses petites sculptures de Ken Price. L’artiste, décédé en 2012, n’eut de cesse de déployer un corpus étonnant de céramiques vernies ou peintes oscillant entre un biomorphisme aux accents souvent érotiques et une géométrie rigoureuse aux variations foisonnantes. Leur étrange beauté, alliant textures et couleurs inattendues, réside en partie dans la parfaite maîtrise des matériaux employés. Ken Price appartient ainsi à cette génération d’artistes de la Californie du Sud qui, à l’orée des années 1960, inaugura le courant dit du «Finish Fetish» ou «L.A. Look». Mais peut-être plus décisive encore fut la contribution de Ken Price à la mise à mal de la distinction traditionnelle entre art et artisanat, ouvrant la voie à une redéfinition juste et salutaire de la place d’un médium longtemps cantonné aux arts décoratifs.
À la suite de Peter Voulkos, fondateur en 1954 du Ceramic Center au Los Angeles County Art Institute (désormais le Otis College of Art and Design), Price rejoint le California Clay Movement (ou American Clay Revolution), auquel appartient également Ron Nagle. À l’âge de 80 ans, ce dernier poursuit sans relâche une entreprise de promotion de la céramique comme forme artistique à part entière, sans pour autant jamais se départir de son sens de l’humour et de la provocation : en témoignent les titres de ses œuvres Cappuccino Nervosa, Urinetrouble ou Karma Gouda. Avec une trentaine de sculptures récentes exposées en mai 2019 à la galerie Matthew Marks, à New York, les énigmatiques prouesses de Nagle continuent de forcer l’admiration. Un autre remarquable long run.