Le 28 novembre 2017, le président Emmanuel Macron, en visite à l’université de Ouagadougou, affirmait sa volonté d’organiser, dans le cours de son mandat quinquennal, le retour du patrimoine africain en Afrique.
En soutenant qu’il « fallait tout faire» pour que ce patrimoine culturel retourne en Afrique, le président Macron rompait avec une tradition juridique française fondée sur l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des collections nationales, rupture qu’il justifiait en affirmant que ce retour participerait du remède aux multiples conséquences du colonialisme. Cette déclaration d’intention constitue une nouvelle étape dans le droit des restitutions de biens culturels.
Revoir la méthodologie
Dans la foulée de ce discours, Bénédicte Savoy, professeur au Collège de France, et Felwine Sarr, écrivain et universitaire Sénégalais, ont été chargés par le président français d’étudier les modalités de ce retour et de nombreuses personnalités africaines et européennes s’interrogent sur la mise en œuvre de cette volonté de restitution. Il en est ainsi de Sindika Dokolo, homme d’affaires et collectionneur congolais qui, dans l’édition du 10 juillet du Art Newspaper Daily Édition française, propose un parallèle entre la restitution des biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale et la restitution des biens culturels collectés en Afrique, pour affirmer que dans les deux cas, cette démarche devrait être une opportunité pour solder une relation toxique avec le passé.
Reste que le traitement par le corps des conservateurs français et l’administration de la culture des revendications et des restitutions des biens culturels spoliés aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est loin d’être exempt de nombreuses critiques.
Le discours d’Emmanuel Macron apparaît, dans ce contexte, comme une véritable opportunité de revoir la méthodologie mise en place au lendemain de la guerre pour organiser la restitution des biens spoliés aux juifs et de se rapprocher des principes directeurs posés par la Conférence de Washington, qui semblent partiellement oubliés aujourd’hui. Adoptés par quarante-quatre pays en décembre 1998, ces principes directeurs encouragent la recherche de provenance, cherchent à faciliter l’introduction des demandes des requérants et poussent à la mise en œuvre de solutions justes et équitables.
Avocate spécialisée dans les questions de restitution d’œuvres d’art spoliées depuis une première affaire dont j’ai été chargée en 1995, j’ai pu suivre l’évolution, notamment en France, des mentalités et des méthodes mises en œuvre.
Plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, bien qu’au cœur du travail lié aux restitutions d’œuvres d’art, la recherche de provenance est très souvent négligée. Ainsi, la France n’a toujours pas procédé au travail de recherche sur la provenance, entre 1933 et 1945, des œuvres de ses collections nationales et ce malgré son engagement pris lors de l’adoption des principes directeurs à la Conférence de Washington. Ensuite, le lancement en mars 2013 par Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, d’une nouvelle démarche proactive tendant à rechercher les héritiers des propriétaires spoliés, s’est heurté à une administration retranchée dans une position de protection des collections nationales. Enfin, si des recherches ont été menées concernant les œuvres récupérées en Allemagne après le conflit et mises en dépôt dans les musées nationaux sous l’appellation Musées nationaux récupération (MNR), David Zivie, dans son rapport intitulé « Biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale : une ambition pour rechercher, retrouver, restituer et expliquer » rendu public le 19 mars dernier, insiste sur « l’existence d’obstacles tant tech-niques que juridiques [liés à] l’organisation peu optimale dont s’est doté l’État [constitué] de forces peu nombreuses et dispersées». Il conclut que « ce que l’on peut reprocher à l’organisation actuelle, c’est précisément un relatif manque d’organisation et une trop faible ambition ».
Le rapport souligne en outre que les musées français sont à la traîne au regard de ce que nombre d’entre eux ont entrepris en Allemagne, en Suisse, au Royaume-Uni, au Canada ou aux États-Unis en matière de recherche de provenance. À titre d’exemple, l’Office fédéral de la culture suisse a publié en juin 2016 un guide à l’usage des musées tendant à faire de la recherche de provenance une discipline principale du travail muséal. De son côté, l’Allemagne a publié en 2018 un guide traduit en anglais en juillet 2018 sous le titre « Guidelines on Dealing with Collections from Colonial Contexts » qui favorise la recherche de provenance des objets collectés pendant la période coloniale. Ainsi, si la recherche de provenance est placée au cœur de la réflexion sur les restitutions de biens culturels dans la plupart des pays européens, la France manifeste une réelle réticence à la mise en place d’une discipline scientifique et d’une formation organisée dans ce domaine. Une simple visite des salles MNR inaugurées au musée du Louvre en décembre 2017 suffit à s’en convaincre : la soixantaine d’œuvres exposées dans les deux petites salles très difficiles à trouver dans le musée, disposent toutes de cartels identiques qui ne disent rien ni de leur historique, ni de leur provenance.
Un retour en lien avec les communautés d’origine
L’objet culturel est un réceptacle porteur de sens, il est à la fois la mémoire et l’empreinte de la culture de laquelle il provient. Aussi est-il indispensable, en amont de toute restitution, de s’interroger sur la place et le rôle de ce dernier dans la civilisation dont il provient, tout comme il est indispensable d’en-tendre les revendications et de les étudier dans le cadre d’un dialogue ouvert et transparent, au cas par cas. Cette étude sur le retour d’un patrimoine ne peut se faire « hors sol » et ne pourra être menée qu’en lien avec les communautés d’origine, les créateurs, ceux d’hier mais également les artistes contemporains, qui se nourrissent de l’art de leurs aînés.
Le philosophe camerounais Achille Mbembe invite à ce titre l’Afrique et l’Europe à réfléchir ensemble à des possibilités de restitution et de réparation. L’enjeu fondamental de la restitution des biens africains réside non pas dans l’organisation d’un retour massif des objets sans travail de mémoire, mais bien au contraire dans la recherche de solutions justes et équitables, après avoir établi de manière scientifique et transdisciplinaire la provenance et la trajectoire des objets, conformément à l’esprit des onze principes adoptés lors de la Conférence de Washington sur la restitution des biens juifs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il apparaît urgent de créer en France un institut de recherche sur la provenance, doté d’outils et de moyens, sur le modèle des instituts nationaux.
Le Premier ministre, dans le discours qu’il a prononcé le 22 juillet 2018 à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel’ d’hiv, a souligné : « Il est un domaine dans lequel nous devons faire mieux : celui de la restitution des biens culturels. […] C’est pourquoi j’ai décidé de doter la C.I.V.S [Commission pour l’Indemnisation des victimes de spoliations, créée en 1999 par le gouvernement de Lionel Jospin sur proposition de la Commission Mattéoli] d’une nouvelle compétence, celle de pouvoir recommander la restitution de ces œuvres [présentes dans les collections nationales sous le sigle Musées nationaux Récupération] ou, à défaut, d’indemniser les personnes concernées ».
Cette nouvelle compétence donnée à la CIVS ne peut avoir de sens que si la France fait preuve d’une réelle ambition en matière de recherche de provenance. De la même manière, la volonté affichée du chef de l’État français d’organiser le retour du patrimoine africain présent dans les collections nationales en Afrique, ne peut faire l’économie d’un véritable travail de provenance. L’ambition ainsi affichée en matière de restitution de biens culturels, tant par le président que par le Premier ministre, doit donc passer par la création d’un centre de recherche qui, en lien avec les institutions culturelles, celles en charges des archives et l’université, mettra en œuvre les outils et la méthodologie indispensables pour parvenir à des résultats probants en matière de provenance.
Il apparaît donc urgent de créer en France un institut de recherche, sur le modèle des instituts nationaux tels l’INHA [Institut national d’histoire de l’art], l’Inrap [Institut national de recherches archéologiques préventives] et bien d’autres, chargé de mettre en place, en lien avec l’université, une véritable discipline provenance, dotée d’outils et de moyens. Une telle discipline ne pourra être mise en œuvre qu’au sein d’un organisme indépendant des institutions muséales et devra regrouper des chercheurs provenant de plusieurs disciplines telles que l’histoire, le droit, l’histoire de l’art, la sociologie, la philosophie, etc...
Il est également indispensable de permettre aux chercheurs un accès aussi large que possible aux œuvres, tant la recherche de provenance se nourrit de l’examen de l’objet lui-même, qui recèle les traces de son histoire et de sa circulation. À défaut d’un engagement ferme et déterminé en ce sens, toutes les déclarations d’intention s’avéreront vaines.