«Je suis actuellement à Douala. Je me rends à Bandjoun dès demain», répond Barthélémy Toguo à bord d’un taxi dans la bruyante capitale économique du Cameroun. C’est le même scénario à chaque fois que l’avion le dépose sur le sol de son pays natal : direction Bandjoun Station, le centre d’art contemporain et atelier de création qu’il a fondé. «Bandjoun Station est né pour préserver une part de l’art classique africain qui, aujourd’hui, se trouve à l’étranger; ainsi que l’art africain contemporain qui suivait le même chemin», explique l’artiste avec entrain. Et cette passion communicative se lit jusque dans l’architecture de Bandjoun Station : une grande maison de 23 mètres de haut «aux façades ornées de puissants motifs en céramique colorés», ajoute gaiement Germain Noubi, son directeur. «Bandjoun Station est composé de deux bâtiments juxtaposés qui abritent d’une part un musée d’art contemporain sur quatre niveaux de 120 m2 chacun, d’autre part, une résidence d’artistes avec douze chambres et un plateau d’ateliers. Et, pour prévenir les infiltrations d’eau de pluie, les murs sont couverts de mosaïques rehaussées d’emblèmes issus de l’univers graphique de son fondateur », poursuit Germain Noubi. Lui aussi vit là-bas depuis des années. Il pourrait vous narrer la genèse et même l’avenir de ce centre d’art. Bandjoun Station a été ouvert au public dès 2013 et officiellement inauguré le 16 novembre 2016, après huit ans de travaux. L’ouverture s’est faite en présence d’Ama Tutu Muna, alors ministre des Arts et de la Culture du Cameroun. Depuis, les artistes et les amateurs d’art affluent. Aux derniers étages du bâtiment, ils découvrent une collection permanente comptant des centaines d’œuvres. C’est le fruit d’échanges entre Barthélémy Toguo et d’autres artistes ainsi que des galeries africaines et occidentales. On y découvre les fresques de David Nash, Hervé Youmbi, Antoni Tàpies, Günther Förg, Soly Cissé ou Joël Mpah Dooh. Il y a aussi des objets d’art et des objets rituels africains. Un brassage qui ne laisse pas indifférent lorsque l’on entre dans le centre d’art.
Woman Power
Gabrielle Badjeck, nouvelle égérie de la performance au Cameroun, se souvient de sa première venue : «C’était en 2017, sur l’invitation de Barthélémy Toguo. Ce qui m’a le plus marquée, c’est de trouver un musée moderne avec autant de documentation et, surtout, d’en découvrir le promoteur, à la carrière impressionnante», confie la jeune artiste. Elle fait d’ailleurs partie de la soixantaine de femmes qui ont participé à la célébration du 5e anniversaire de Bandjoun Station les 16 et 17 novembre 2018, autour du thème «Woman Power». Les quelque deux cents acteurs de cet événement en ont profité pour visiter les vastes plantations de café et de céréales (maïs, haricot, arachide, entre autres) associées au projet. «L’ambition artistique et culturelle de Bandjoun Station est couplée à un volet d’intégration environnementale et agricole, sur environ 10 hec-tares», souligne Germain Noubi. Des surfaces agricoles que les habitants du village voisin regardent parfois avec envie.
D’ailleurs, une partie de la population de Bandjoun ne voit pas toujours d’un bon œil les expositions qui rythment la vie de Bandjoun Station. Depuis son ouverture, elles sont au nombre de six : «Mes Amours», «Stories Tellers», «Dialogues», «Behind the Portal», «Newwar. It’s Just a Game?» et, jusqu’au 30 juin 2019, «Woman Power».
Après cinq années d’existence, ce centre d’art contemporain reste pour son proche voisinage un site de curiosité, exposant des dessins «bizarroïdes», recevant «des visiteurs tout aussi curieux, portant souvent des dreadlocks et des tenues déjantées». Une incompréhension que regrette Gabriella Badjeck. «Il est nécessaire que la population de Bandjoun connaisse mieux le centre artistique, dit-elle. Car, actuellement, si vous voulez le visiter et que vous ignorez le chemin qui y mène, il vous sera difficile de trouver quelqu’un pour vous orienter.» Si Bandjoun Station est encore en quête de popularité auprès de ceux qui vivent à proximité, les artistes, eux, s’y rendent volontiers pour y puiser de l’inspiration.
Une radio communautaire
«J’y suis allé au moins une dizaine de fois, témoigne Yvon Ngassam, un photographe d’art renommé. C’était essentiellement pour des résidences de création, mais aussi lors de vernissages ou pour de simples visites.» Il confie que l’endroit a eu un réel impact sur sa carrière. «J’y ai effectué plusieurs résidences et un catalogue a été publié sur mon travail, ce qui me permet d’en gardée une trace, chose rare dans notre milieu. J’ai par ailleurs été convié à de nombreuses conférences à l’étranger grâce à Bandjoun Station», détaille-t-il, reconnaissant.
Toutefois, Yvon Ngassam émet un bémol : «Le maillon faible de Bandjoun Station, selon moi, est le fonctionnement de sa bibliothèque. C’est la plus riche d’Afrique centrale, mais les livres ne sont pas référencés, ce qui complique beaucoup la consultation des documents.» Un chantier qui s’ajoute donc à celui entrepris par Barthélémy Toguo : le lancement d’une radio communautaire. «Ce sera fait d’ici fin 2019. Les locaux sont déjà prêts. Elle pourra être écoutée sur Internet», assure l’artiste, animé de l’envie de faire entendre au monde la voix (voie) de Bandjoun Station.