Hubert et Ambroise Duchemin sont des découvreurs. Si Hubert Duchemin ne jure que par Poussin, Watteau, Fragonard, David, Géricault et Delacroix, Ambroise partage la même fascination que son père pour ces grands maîtres. Néanmoins, le jeune homme ne s’est pas fait connaître par quelques coups, mais plutôt par un goût clairement affirmé pour un certain art français des années 1820 aux années 1960. De même qu’il existe des tableaux « Aaron », « Mathieu Néouze », « Talabardon et Gautier » ou « Terrades », il y a depuis deux ou trois ans des œuvres « Ambroise Duchemin », tels le paysage sur bois de Charles Sellier ou le paysage au fusain de Théodule Ribot acquis au printemps dernier par la Fondation Custodia (Paris).
Inventer un marché
À la fin de son cursus à l’Institut d’études politiques de Toulouse, tandis qu’il s’imaginait créer un label de musique, Ambroise Duchemin décide de changer ses projets du tout au tout. Il propose alors à son père d’effectuer un stage d’un an au sein de sa galerie pour se donner le temps de réfléchir. Le jeune homme commence à chiner et se laisse prendre au jeu. Bien que ses proches lui conseillent de multiplier les stages auprès de confrères ou de grandes maisons de ventes, il lance sa propre structure à peine deux ans après avoir mis les pieds rue de Louvois. « J’avais alors dans l’idée qu’en créant un site Internet où je présenterais de jolies feuilles bien encadrées dont les prix n’excéderaient pas les 5 000 euros, je toucherais une nouvelle clientèle. Avec le recul, je me rends compte que l’exercice m’a permis d’exercer mon appréciation critique et de définir un certain goût, le mien. Immanquablement, quand j’ai organisé la première exposition pour lancer le site en 2015, j’ai été plus surpris encore que les visiteurs de découvrir le fil conducteur commun entre toutes les œuvres. » Ambroise Duchemin est parvenu à étonner. Face à son premier catalogue de dessins en 2017, les plus anciens se sont dit qu’il avait l’audace de présenter des feuilles d’artistes réputés passés de mode, tandis que les plus jeunes ont été gagnés par ce principe de dessins de charme à prix abordable. Pour Benjamin Peronnet, l’ex-directeur international du département des dessins anciens de Christie’s, qui vient d’ailleurs d’ouvrir une galerie en chambre rue de Louvois, « ce qui est remarquable chez Ambroise, c’est que, tout en gardant une certaine fidélité, il a trouvé une véritable voie. Le risque était d’être trop marqué par l’empreinte du père, mais il a su s’en démarquer assez vite. Là où il est très fort, c’est qu’il parvient à parier sur des artistes qui ne sont pas forcément au premier rang ou dont l’œuvre est assez modeste. Il sait choisir la feuille qui aura une certaine résonance, qui va plaire et toucher. » Ambroise Duchemin semble prendre un vrai plaisir à dénicher le dessin le plus émouvant jamais réalisé par un artiste a priori peu novateur, voire assommant du XIXe siècle français, celui qui va instiller un doute dans l’esprit du connaisseur et l’inviter à réviser son jugement. Un exemple éloquent : Le Guet-Apens d’Alexandre Louis Leloir, acquis par le Petit Palais (Paris) en 2017, une petite merveille d’un peintre dont les autres compositions manquent souvent d’esprit mais qui a su, là, créer une image frappante. Un autre sera présenté cette année lors d’une exposition en marge du Salon du dessin : « De l’avis général, le graveur Charles Émile Jacque est peut-être l’artiste le moins original du XIXe siècle mais, en proposant cette année un de ses dessins érotiques, j’espère dévoiler une autre facette de sa créativité. »
Les découvertes d'un chineur hors pair
Le virus de la découverte dans le sang, ce petit-fils et fils de chineur s’est rapidement distingué par quelques trouvailles, telles qu’une feuille réalisée par Géricault en Italie, trouvée dès ses débuts à la galerie Hubert Duchemin, ou un Intérieur de l’atelier de l’artiste au Louvre de François Marius Granet, attribué à Eugène Delacroix car il porte une inscription ancienne « E.D. ». Véritable geek, Ambroise Duchemin pianote jour et nuit sur Internet afin de dénicher l’œuvre mal attribuée sur eBay ou sur les sites des maisons de ventes aux enchères. « C’est un chercheur qui trouve des choses dans des lieux incongrus. Ayant un très bon œil, il est capable d’emblée de comprendre les qualités intrinsèques d’une œuvre. Il ne lui reste plus ensuite qu’à l’attribuer, un domaine où, là aussi, cet autodidacte est particulièrement doué », souligne l’expert en dessins Nicolas Schwed. En 2016, il vend ainsi au musée Girodet de Montargis un Portrait d’enfant, une œuvre longtemps demeurée anonyme qui dormait dans le stock de son père depuis des années. En visitant le Musée de Valence, il a observé sur La Mort d’Ugolin de Fortuné Dufau le même coloris rouille, la même surface pareille à du crépi et, surtout, la même atmosphère étrange, presque morbide. Son dernier coup est un Courbet de jeunesse qui devrait marquer les esprits. « Je crois, explique-t-il, que j’ai été attiré par le caractère introspectif et intense, presque brutal, de ce portrait, mais aussi par la technique magnifique. Je l’ai découvert sur une vue d’ensemble d’une salle sur un site de ventes aux enchères. Il était posé au pied du podium du commissaire-priseur, dans un cadre ovale peu valorisant. On n’apercevait que le visage et le haut du buste. J’ai alors demandé de meilleures photographies et on m’a fait parvenir des images de l’œuvre décadrée. J’ai aussitôt pris conscience de la qualité de la toile, des gris et des gros empâtements propres à Courbet, dont le monogramme “GC” apparaît dans un coin que cachait le cadre. Ce qui n’était qu’une intuition devient une certitude. Le plus difficile, c’est de contenir son excitation. Le lendemain matin, j’ai pris un train à une heure impossible. Très stressé, je suis arrivé bien avant l’ouverture de la salle, j’ai fait au moins cent fois le tour du pâté de maisons. À un moment donné, je me suis senti un peu ridicule et me suis dit que prendre la vie avec philosophie ne pourrait pas me faire de mal. Je me suis retrouvé en train de déguster un plateau d’huîtres à une heure où la plupart de mes amis avalaient leur premier café. Cela m’a porté chance et j’ai eu le tableau. En rentrant à Paris, je me suis précipité à un vernissage auquel assistait mon père et nous avons déballé finalement le paquet sur la table d’un café à une heure tout aussi impossible. » Le reste n’a été qu’un jeu d’enfant. Le cachet du marchand de couleurs, analysé par Pascal Labreuche, prouve que la toile date d’avant 1852, et le Comité Courbet de l’Institut Gustave Courbet d’Ornans n’hésite pas une seconde à valider l’attribution.
Pour son ami Grégoire Mercier, 30 ans, qui s’est récemment distingué en découvrant deux Corot, dont une huile sur papier acquise par la Fondation Custodia, et qui reprend les rênes de la galerie de son propre père, Thierry, si Ambroise devient soudain le « Malade imaginaire » avant une vente, c’est surtout « l’une des personnalités les moins clivantes et les plus passionnées que je connaisse. C’est une chance de pouvoir échanger avec un autre marchand de mon âge – autrefois, nos pères étaient associés – alors que la plupart des jeunes travaillent pour les maisons de ventes. » Les deux jeunes hommes ont en tout cas le même enthousiasme et la même modestie. « Il y a des marchands “ficelles”, avec qui les affaires sont compliquées, mais ce n’est pas du tout le cas d’Ambroise, explique Nicolas Schwed. Avec lui, tout est simple. Comme son père, il est extrêmement honnête. Le collectionneur parisien Philippe Kahn adore ce qu’il fait, il trouve qu’il a un goût extraordinaire. Ce n’est pas le mien, mais j’ai beaucoup de respect pour son approche et son travail. Je lui prédis un grand avenir. »