Deux semaines après avoir aménagé la vitrine d’un ancien magasin de tapis à Croydon, dans le sud de Londres, Banksy a lancé sa boutique de produits en ligne, nommée Gross Domestic Product. Les prix commencent à partir de 10 livres sterling (11,50 euros) pour une vieille bombe de peinture aérosol, et vont jusqu’à 850 livres (983 euros) pour une veste John Bull « portée par Stormzy au festival de Glastonbury (car c’est très dangereux là-bas) ». Un t-shirt Girl With Balloon dont le bas est déchiré – clin d’œil à l’épisode de l’année dernière chez Sotheby’s – est vendu au prix de 30 livres (34,70 euros). Une hache en résine (750 livres, 867 euros) est proposée, en collaboration avec l’artiste espagnol Escif. En partenariat avec l’entreprise d’aide sociale Love Welcomes, des tapis de bienvenue, cousus par des femmes réfugiées à partir de gilets de sauvetage récupérés, sont proposés à 500 livres (578 euros) chacun, ces revenus étant intégralement reversés à ces femmes. Une nouvelle version triptyque du Lanceur de fleurs de Banksy est disponible au prix de 750 livres (867 euros) dans une édition de 100.
Outre les nouvelles œuvres, toutes réalisées dans son atelier, Banksy laisse entendre qu’il pourrait intervenir sur le second marché avec Bbay, « le revendeur de Banksy approuvé ». Un onglet au bas de son site Internet indique simplement que ce service sera bientôt disponible. Le slogan « Votre destination de choix pour échanger des œuvres d’occasion réalisées par un artiste de troisième ordre » figure sous la photo d’un homme debout près d’un fourgon Transit entouré d’œuvres de Banksy et d’objets à vendre, comme un manteau en fausse fourrure et des céramiques de piètre qualité. Cette page d’accueil très drôle n’est peut-être qu’une plaisanterie, même si le second marché est un réel sujet de controverse pour Banksy, qui l’a conduit jusqu’à intervenir chez Sotheby’s en octobre 2018 en déchiquetant à distance l’une de ses propres toiles mise aux enchères.
En l’absence de galerie, l’artiste ne dispose que d’un contrôle limité sur ceux qui acquièrent ses œuvres, ce à quoi il semble vouloir remédier.
Banksy a demandé aux « riches collectionneurs » de s’abstenir de s’enregistrer sur le site car le premier lot a été vendu « bien en dessous de sa valeur marchande ». Les spéculateurs et les investisseurs sont également prévenus. Selon les termes et conditions, la société Gross Domestic Product (GDP) peut refuser une commande « si un article est mis en vente sur le second marché avant sa réception, ou si GDP pense de manière raisonnable qu’il pourrait être mis en vente avant ou après sa réception ». Pest Control (son service d’authentification) a également imposé un délai de deux ans avant que ne soit émis le certificat d’authenticité des œuvres. Des contrats de vente particuliers peuvent également s’appliquer, même si leur caractère exécutoire peut s’avérer complexe. La nouvelle boutique a mis en place un processus de sélection pour acheter les œuvres – les clients potentiels doivent répondre à la question suivante : « L’art est-il important ? » – et les acquisitions sont actuellement limitées à une par personne. Les réponses seront jugées par le comédien Adam Bloom. C’est un différend juridique au sujet de la marque Banksy qui l’a incité à lancer cette boutique. En effet, selon l’artiste, la société éditrice de cartes de vœux Full Colour Black contestait ses droits sur son nom et ses images, « afin de pouvoir légalement les utiliser pour vendre ses faux produits labellisés Banksy ».
Mark Stephens, président de la société de droit d’auteur DACS et avocat spécialiste des médias qui a conseillé Banksy dans cette affaire, a qualifié le procès de « litige franchement ridicule », mais a déclaré : « La loi indique clairement que si le titulaire de la marque ne l’utilise pas, alors elle peut être attribuée à quelqu’un qui le fera ». Sa solution ? Créer une gamme de produits et ouvrir un magasin. Après avoir prétendu que le droit d’auteur est pour les losers, Banksy tient à préciser sur son nouveau site Internet qu’il « continue d’encourager la copie, l’emprunt et l’utilisation non créditée de ses images à des fins de divertissement, d’activisme et d’éducation ». Cependant : « vendre des reproductions, créer sa propre gamme de produits et présenter de manière frauduleuse les productions de Banksy comme "officielles"est illégal, à l’évidence un peu faux et peut entraîner des poursuites judiciaires ». Full Colour Black a répondu aux accusations dans un communiqué affirmant que cette « petite entreprise » de trois personnes ne « contrevenait en rien à ses droits ». Ajoutant : « Nous n’utilisons ni ses produits ni son nom. Nous fabriquons des cartes montrant des graffitis de Banksy dans l’espace public. C’est une entreprise légitime ».
La compagnie a déclaré avoir écrit à Banksy, à son équipe et à ses avocats « plusieurs fois depuis 2010 pour lui dire que nous voulions lui verser des redevances », mais qu’il « ne le voulait pas ». « Nous fabriquons des cartes parce que Banksy ne met jamais rien à la disposition de ses fans. Nous aimons tous ses graffitis. Il ne veut pas que vous en ayez une reproduction et espère vous faire croire que nous nuisons à son activité. Ce n’est pas le cas », a poursuivi la société. Avec le tableau de Banksy Devolved Parliament (2009), vendu 9,9 millions de livres sterling (11,4 millions d’euros) chez Sotheby’s au début du mois, il n’est peut-être pas surprenant que ce dernier essaie de restreindre son second marché tout en rendant son travail abordable pour les fans ne disposant que de faibles revenus. Son service d’authentification, Pest Control, est « le seul point de vente pour les nouveaux travaux de Banksy », mais cette nouvelle activité en ligne pourrait encore une fois bouleverser le marché.