Peu d’institutions muséales peuvent « faire le tour du monde bouddhique au gré d’œuvres d’une telle importance », se félicite, à juste titre, Sophie Makariou, la dynamique présidente du musée national des arts asiatiques-Guimet. Inaugurée à Lyon en 1879, puis transférée à Paris en 1889, cette « usine philosophique » – selon les mots de son fondateur, l’industriel et collectionneur Émile Guimet – a transcendé en effet, dès son ouverture au public, la simple fonction de musée. Nombreux sont en effet les visiteurs illustres qui, tel Georges Clemenceau, fréquentèrent sa bibliothèque ou sont venus assister, sous son impressionnante rotonde, à des cérémonies bouddhiques en plein cœur de Paris. La célèbre espionne Mata Hari y exécuta, quant à elle, des danses érotiques d’inspiration brahmanique ! Plus sérieusement, le musée Guimet n’a cessé d’enrichir son fonds au gré de ses missions archéologiques et de ses prestigieuses donations, se hissant au rang d’une des plus grandes institutions muséales et scientifiques dédiées aux arts asiatiques. S’appuyant sur ces seules collections, Sophie Makariou et Thierry Zéphir, éminent spécialiste de l’Asie du Sud-Est, ont ainsi pu dessiner un parcours initiatique racontant, de façon extrêmement complète et sensible, les multiples épisodes de la geste de Bouddha et les infinies variations iconographiques et stylistiques qu’il épousa au gré de ses pérégrinations asiatiques. Des Jataka (ensemble de récits relatant les vies antérieures du Bouddha historique Shakyamuni) à son passage sur Terre (où il s’incarne au début du Ve siècle avant notre ère au sein d’une famille royale du nord-est de l’Inde), chaque facette de son existence a donné naissance à une imagerie d’une prodigieuse inventivité formelle. Et c’est précisément toute l’originalité et la saveur de cette exposition que de rendre grâce au génie des artistes asiatiques, qui, bien souvent dans l’anonymat le plus complet, créèrent des icônes vibrantes de beauté au service de la foi.
Tout en respectant le carcan drastique régissant l’iconographie de Bouddha (les trente-deux marques corporelles lakshana, auxquelles se greffent les quatre-vingts signes secondaires !), ces derniers surent ainsi habilement contourner les diktats religieux pour donner libre cours à leur créativité. De la même façon que chaque kouros grec trahit la « patte » de son sculpteur, chaque représentation du « Bienheureux » (un autre nom employé pour qualifier Bouddha) reflète, au-delà de son environnement culturel, la subjectivité et la sensibilité de son auteur. Le regard du visiteur se pose alors sur ces effigies en schiste du Gandhâra (Pakistan actuel) qui adoptèrent à l’aube du Ier siècle de notre ère le drapé grec et le sourire apollinien dont les successeurs d’Alexandre le Grand gardaient confusément le souvenir, plonge et se perd dans ces thangka (rouleaux peints) du Népal ou du Tibet fourmillant de saynètes psychédéliques ou macabres, avant de succomber à la grâce immatérielle de ce Bouddha marchant de Sukhothaï (Thaïlande) du XVe siècle. Seule œuvre contemporaine, la saisissante sculpture de porcelaine de l’artiste japonais Takahiro Kondo (né en 1958) prouve, quant à elle, que l’inspiration bouddhique, fût-elle expressionniste, est loin d’être tarie…