Ils sont alignés les uns à côté des autres, une casquette ou un casque vissé sur la tête, beaucoup portent des lunettes, tous ont couvert leur nez et le bas de leur visage d’un tissu pour se protéger du soleil et du sable qui vient les fouetter. Ces hommes sont les invisibles, les travailleurs immigrés des chantiers pharaoniques qui bouleversent la physionomie de Doha. Faraj Daham, pionnier de la scène artistique qatari, leur donne une nouvelle dignité dans son grand diptyque Street Language (2012), œuvre présentée dans l’exposition « Notre monde brûle » au Palais de Tokyo, à Paris. Dans ce pays dont la population de 2,5 millions d’habitants est à 80 % étrangère, qui a connu en quelques décennies le passage d’une organisation tribale des relations humaines – encore persistante – au statut de capitale économique à l’échelle mondiale devant répondre aux attentes de la communauté internationale en termes d’évolution du droit, les artistes jouent un rôle de catalyseur. Ce sont eux aussi qui peuvent faire avancer la société et conduire à l’adoption de nouvelles lois plus progressistes. Loin de tout boycott stérile, il est donc primordial d’exposer ces créateurs qui portent dans leurs œuvres ces idées avant-gardistes sur leur scène locale. Tel est précisément l’une des dimensions de l’exposition « Notre monde brûle » conçue par le commissaire Abdellah Karroum, en collaboration avec le Mathaf (Arab Musem of Modern Art) qu’il dirige. Cette institution pionnière, fondée en 2010 à Doha, repose sur une collection de 9 000 œuvres d’art moderne et contemporain issue en partie de celle du Cheikh Hassan, artiste et collectionneur qui a depuis longtemps voulu la mettre à disposition pour répondre à des objectifs de recherche et d’éducation. Le musée accueillera en mars des expositions d’Huguette Caland et d’Yto Barrada, mettant ainsi en avant le travail de deux artistes femmes. Si la manifestation du Palais de Tokyo s’inscrit dans le cadre de l’année culturelle Qatar France 2020, Emma Lavigne, présidente de l’institution, entend poursuivre la collaboration avec le Mathaf, haut lieu du changement de perspective dans l’écriture de l’histoire de l’art.
Changement de perspectives
Loin de tout boycott stérile, il est primordial d’exposer les créateurs qui portent dans leurs œuvres des idées avant-gardistes sur leur scène locale.
23 février 2020