Consacré à un sujet inédit en France, cet ouvrage (publié aux éditions Hermann en collaboration avec le Comité professionnel des galeries d’art et INA éditions) est issu de votre thèse, basée sur l’analyse de centaines d’archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Pourquoi avoir choisi l’art contemporain et la télévision ?
La télévision est un média central, populaire par excellence, mais le sujet a été peu exploré, contrairement aux liens entre le cinéma et l’art contemporain. J’ai été frappée par le décalage entre ce qui est montré de l’art contemporain à la télévision et les réalités que je connais à travers ma pratique d’artiste… Par le décalage aussi entre deux cultures. Il existe une émission
L’ORTF, LANCÉ EN 1964, DIFFUSE DES ÉMISSIONS CONSACRÉES À L’ART CONTEMPORAIN QUI ONT ALORS UNE VRAIE VISIBILITÉ
américaine qui s’appelle Work of Art : The Next Great Artist, une sorte de Star Academy de l’art contemporain. J’ai trouvé intéressante cette opposition entre le monde de l’art, souvent qualifié d’élitiste, et le genre de la téléréalité. Beaucoup de questions ont surgi : comment l’art est-il représenté à la télévision ? Quelles images de l’artiste diffuse-t-elle ? Et comment passe-t-elle de la médiation à la médiatisation et vice-versa ?
L’art contemporain est quasiment invisible à la télévision aujourd’hui. Pourtant, on découvre que des émissions sur le sujet étaient diffusées aux heures de grande écoute dans les années 1960-1970…
Le point de départ de l’ouvrage, 1959, correspond à la création du ministère des Affaires culturelles par André Malraux. L’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) est lancé en 1964 et diffuse des émissions consacrées à l’art contemporain qui ont alors une vraie visibilité, comme L’Amour de l’art, Zig Zag ou Peintres de notre temps, sur la 1re et sur la 2e chaîne. C’est l’âge de la télévision publique, un outil neuf qui répond à la mission pédagogique de l’État d’apporter la culture dans tous les foyers. De 1981 à 2000, l’art contemporain prend un aspect « polémique », qui fait débat. Il devient systématiquement associé à la contestation, à la critique de la société et à la provocation. Et il est lié à une logique événementielle à partir des années 2000.
Vous citez cette phrase de Catherine Clément : « la culture est offerte aux Français à l’heure où, majoritairement, ils dorment. » Comment l’art contemporain a-t-il été relégué aux émissions « de niche » ?
Aujourd’hui, il est effectivement difficile de repérer dans la grille un rendez-vous fort et régulier consacré aux arts plastiques et qui n’est pas diffusé à des heures tardives. La télévision doit avant tout faire de l’audience, depuis la libéralisation du secteur audiovisuel dans les années 1980 et l’apparition des chaînes privées. Dans cette logique, pourquoi garder des programmes culturels qui ne sont pas rentables ? Il y a plus de chaînes et davantage d’émissions, et paradoxalement moins de place pour l’art contemporain. Et quand un artiste contemporain est invité sur un plateau, c’est sous l’angle de l’actualité des expositions, à l’instar de magazines culturels comme Metropolis sur Arte ou Stupéfiant ! sur France 2.
Vous abordez les représentations et les croyances sur les artistes… Quels poncifs reviennent le plus souvent à la télévision ?
L’artiste contemporain est représenté selon trois stéréotypes : le romantique ou bohème, le subversif, et l’entrepreneur. La représentation est aussi inégalitaire. Il y a une hégémonie des artistes masculins, blancs. Avec quelques évolutions notables. Dans les années 1960, les artistes qui passent le plus à la télévision sont relativement jeunes, tandis qu’à partir des années 2000, la moyenne tourne plutôt autour de 50 ans. Les émissions construisent aussi des « récits », des schémas : soit elles racontent la vie des artistes, soit elles proposent un apprentissage de l’art contemporain au public. Celui-ci est d’ailleurs souvent considéré comme étant ignorant de l’art contemporain, ne l’aimant pas, n’ayant pas le « bon » regard.
Quelles émissions sortent du lot ?
Certaines émissions sur les arts plastiques partent du point de vue des spectateurs, les émissions britanniques de l’artiste Grayson Perry par exemple, comme All in the Best Possible Taste et Rites of Passage sur Channel 4,
L’ARTISTE CONTEMPORAIN EST REPRÉSENTÉ SELON TROIS STÉRÉOTYPES : LE ROMANTIQUE OU BOHÈME, LE SUBVERSIF, ET L’ENTREPRENEUR
où l’artiste invite les téléspectateurs à le suivre dans ses expérimentations et invente un nouveau concept d’émission. Fake or Fortune, sur BBC One et Netflix, cherche à vérifier l’authenticité des œuvres en impliquant les téléspectateurs dans les enquêtes. Ce point de vue inclusif pourrait expliquer le succès public de ces programmes.
Et sur d’autres formes de médias, plus jeunes ?
Aujourd’hui, la télévision converge avec l’Internet et les réseaux sociaux, qui peuvent aussi être des lieux de dialogue, de discussion critique et d’apprentissage de l’art contemporain. Aux États-Unis, la série très intéressante Art21 est diffusée à la télévision depuis 2008 et sur le web en accès libre, avec une longévité rare de nos jours. Les nouveaux formats numériques qui apparaissent, comme L’atelier A, coproduit par l’Adagp sur Arte Creative, les plateformes Culture Box de France TV ou Culture Prime, lancée sur Facebook et YouTube en 2018, peuvent être l’occasion de redonner une place aux arts plastiques. Tout reste à inventer.
Clémence de Montgolfier, Quand l’art contemporain passe à la télévision. Représentations, récits et médiations de 1959 à nos jours, éditions Hermann, 295 p., 24 euros.