2019 aura été une année charnière dans le domaine du mécénat et dans la prise de conscience par les musées que l’argent ne pouvait plus être accepté les yeux fermés. Cette évolution intervient à un moment délicat, où il devient parfois difficile de trouver de généreux donateurs pour financer expositions, acquisitions, programmes pédagogiques, voire extensions qui se chiffrent souvent en millions d’euros.
Face à une opinion publique de plus en plus attentive, il n’est plus concevable qu’une entreprise exerçant des activités contraires à une certaine éthique puisse retrouver une respectabilité en finançant des activités culturelles.
La question est particulièrement sensible aux États-Unis, où les musées ne peuvent compter que sur la générosité de philanthropes ayant depuis longtemps assimilé qu’il était de leur devoir de rendre à leur communauté une part de la fortune qu’ils avaient amassée. La situation en Europe est ostensiblement différente, puisque les institutions bénéficient généralement de financements publics, même si leurs dotations ont été largement rabotées au fil des ans. À Paris, le MAD (musée des Arts décoratifs), qui ne reçoit pas de subventions pour organiser ses expositions et enrichir ses collections, est confronté aux mêmes problématiques que ses homologues américains. Outre qu’il y a une frontière à ne pas dépasser pour éviter qu’un partenariat autour d’un projet scientifique ne se mue en promotion pure et dure – comme cela pourrait advenir dans le cas d’une exposition centrée sur une marque ou d’une monographie d’un artiste qui transformerait un musée en show-room de première classe pour une galerie en assurant le total financement –, les musées doivent aujourd’hui aussi prendre en compte les activités « réelles » de leurs mécènes. Face à une opinion publique de plus en plus attentive, il n’est plus concevable qu’une entreprise exerçant des activités contraires à une certaine éthique– dont les contours sont encore flous – puisse retrouver une respectabilité en finançant des activités culturelles.
Un activisme qui porte ses fruits
Cette question a été prise à bras-le-corps par Nan Goldin et le collectif PAIN, qui mènent depuis plusieurs mois une campagne de sensibilisation et organisent des manifestations dans des musées ayant bénéficié des largesses des Sackler. L’artiste dénonce en effet la commercialisation, par une société appartenant à cette famille, de l’Oxycontin, médicament antidouleur hautement addictif, qui aurait causé la mort par overdose de plus de 200000 personnes depuis vingt ans aux États-Unis. Elle milite donc pour que le nom « Sackler » disparaisse des grands musées, qui possèdent souvent des salles ou une aile ainsi nommées. Le 1er juillet, Nan Goldin et son collectif ont manifesté devant la pyramide du Louvre pour demander que douze salles des Antiquités orientales portant ce nom soient débaptisées. Jean-Luc Martinez, président du musée parisien, a accédé à la demande quelques jours plus tard; la mention du donateur étant limitée à vingt ans, elle aurait dû s’achever en 2013. Après des manifestations notamment au Metropolitan Museum of Art, à New York, PAIN a encore occupé le 16 novembre la cour Sackler du Victoria and Albert Museum de Londres, inaugurée en 2017 après une rénovation financée à hauteur de 2 millions de livres sterling par la même famille.
D’autres mécènes, notamment spécialisés dans les hydrocarbures, comme BP, ont également été pris pour cibles par des manifestants écologistes ces derniers mois. À Londres, la Tate et Turner Contemporary ont de leur côté mis fin au partenariat entre la compagnie de bus Stagecoach et le Turner Prize, à la suite des prises de position homophobes du fondateur de Stagecoach, Brian Souter.
Ces questions, sensibles par excellence, ne trouvent pas toujours les réponses adéquates dans les musées, où les dirigeants défendent en premier lieu la pérennité des activités de leurs institutions. Les associations regroupant les musées, notamment aux États-Unis, se refusent même à édicter des règles de conduite qui s’appliqueraient à toutes les institutions. Pourtant, dans un monde en quête de davantage de transparence, les musées ne pourront bientôt plus accepter de mécènes non éthiquement irréprochables.