« Voici un musée à peine né et déjà fermé, un comble… ». Le 12 mars, Klaus Albrecht Schröder avait choisi l’ironie pour cacher sa déception. Dans son musée flambant neuf et désert, le directeur de l’Albertina guidait une poignée de journalistes venus pour l’inauguration du satellite de l’institution viennoise, contrainte de fermer brutalement face à l’ampleur de la crise sanitaire. L’Albertina Modern a ouvert ses portes pour de bon ce mercredi. Installé dans l’ancienne Künstlerhaus (Maison des artistes), sur l’incontournable Karlsplatz, il est l’aboutissement de vingt années de travail ambitieux : donner à la très classique Albertina, mondialement connue pour ses dessins de Dürer et de Rembrandt, son pendant moderne.
Pari réussi. Après trois ans de travaux, le bâtiment néoclassique ouvre ses portes sur 2 500 m2 d’espace d’exposition et une collection impressionnante. De Georg Baselitz à Maria Lassnig, en passant par Franz West, Anselm Kiefer, Markus Lüpertz, Jörg Immendorff, Andy Warhol, Alex Katz, Sherrie Levine, Eric Fischl ou encore Cindy Sherman, 5 000 artistes sont réunis à travers 60 000 œuvres – peintures, sculptures, installations et photographies – issues essentiellement des collections Essl et Jablonka.
L’ABOUTISSEMENT DE VINGT ANNÉES DE TRAVAIL AMBITIEUX
« Au lieu de collectionner les œuvres, nous préférons collectionner les collectionneurs », résume Klaus Albrecht Schröder. Plusieurs arrivées successives de collections prestigieuses ont en effet permis cette extension moderne de l’Albertina, déjà riche d’un fonds propre d’art contemporain. En 2014, dans le rouge, l’entrepreneur Karlheinz Essl, fondateur des magasins bauMax, cède une partie de sa collection à l’industriel Hans Peter Haselsteiner, qui prête ce fonds à l’Albertina pour 27 ans. La même année, il se sépare aussi chez Christie’s à Londres de 44 œuvres importantes – de Baselitz à Polke – pour un total de 60 millions d’euros. Hans Peter Haselsteiner finance également les 57 millions d’euros nécessaires à la rénovation du nouveau musée, et selon le New York Times, c’est sa propre entreprise de bâtiment qui s’est chargée des travaux… Quatre ans plus tard, Karlheinz Essl fait don à l’institution de 1 300 œuvres supplémentaires. En 2019, l’acquisition de la collection des galeristes Rafael et Teresa Jablonka vient ajouter à la liste quelque 400 œuvres d’artistes contemporains américains et allemands.
Pour l’exposition inaugurale « The Beginning », 360 œuvres ont été sélectionnées autour d’un thème sans grande prise de risque : l’évolution de l’art autrichien de 1945 à 1980. Klaus Albrecht Schröder et une équipe de cinq commissaires ont imaginé un parcours chrono-thématique en treize chapitres, qui s’ouvre avec le réalisme fantastique de Rudolf Hausner et d’Ernst Fuchs, et s’achève par l’avant-garde féministe incarnée par VALIE EXPORT, Margot Pilz, Birgit Jürgenssen, Karin Mack ou Renate Bertlmann. Le milieu du parcours oppose dans un contraste vif l’actionnisme viennois au pop art autrichien, présentés dans deux salles successives. « L’objectif est que l’histoire de l’art autrichienne après 1945 gagne en importance et occupe une place jamais vue auparavant », explique Klaus Albrecht Schröder dans un communiqué. C’est en plaçant ses expositions dans une perspective historique que l’Albertina Modern entend tirer son épingle du jeu dans une capitale déjà riche en places fortes de l’art contemporain, avec le Mumok, le Belvedere 21, la Secession ou la Kunsthalle Wien.
« The Beginning. L’Art en Autriche de 1945 à 1980 », Albertina Modern, Karlsplatz 5, Vienne, Autriche, www.albertina.at