Il n’est pas rare de croiser les écrits d’Alexandre Dumas au menu des ventes aux enchères, mais l’apparition d’un manuscrit aussi dense – 93 pages – et de plus entièrement de la main de l’auteur du Comte de Monte-Cristo est un événement. Au point que la maison FauveParis lui dédie une vacation physique unique, le 26 septembre, avec retransmission sur Drouot digital.
De façon insolite, La Route de Varennes passe par la Grèce, où le manuscrit a été redécouvert. L’introduction du récit est adressée à Ioannis Philémon, directeur du journal grec Aion (Le Siècle) en vue d’une publication en feuilleton. La série ne sera jamais publiée dans la revue hellénique. Dumas l’ignore certainement mais la crise politique grecque entrave la parution de la publication entre 1854 et 1857. L’ouvrage a ensuite été transmis au fils de l’homme de presse, Timoléon Philémon – figure emblématique du journalisme grec, maire d’Athènes et précepteur de Georges Ier, le roi des Hellènes. En novembre 1876, Timoléon Philémon offre le manuscrit à la princesse Roxane Soutzo et passera ensuite dans sa descendance. Avant qu’il ne soit rapporté d’Athènes en août 2020, « l’ouvrage n’avait jamais quitté la capitale grecque et ce depuis 164 ans », souligne Dimitri Joannidès, associé fondateur de FauveParis.
Le manuscrit de La Route de Varennes est estimé de 60 000 à 80 000 euros. Initialement comprise entre 80 000 et 120 000 euros, l’évaluation a été revue à la baisse pour la rendre plus attractive. Il manque deux chapitres clés au manuscrit, ce qui a peut-être joué en faveur de cette baisse. Dimitri Joannidès explique que « l’évaluation a été difficile, surtout après l’affaire Aristophil qui a déstabilisé le marché ». Les lettres de Dumas adressées à ses maîtresses ou à Victor Hugo ne sont pas rares. Pour ces autographes, les adjudications oscillent entre 800 et 5 000 euros. Pour affiner son appréciation, le cofondateur de la maison de ventes mentionne « un ouvrage “similaire” de 8 pages sur l’entrée de Garibaldi à Naples vendu pour 16 000 euros ». Il précise que « la portée symbolique et historique de la fuite de Louis XVI et de Marie-Antoinette, ajoutée à l’imaginaire construit par Sofia Coppola dans son film Marie-Antoinette, fait l’estimation ». Le dernier élément est la provenance. « Contrairement à la plupart des documents de Dumas que l’on voit passer en vente, ici la traçabilité est complète. On peut la suivre depuis la rédaction en 1856 », souligne l’expert.
La fuite avortée de la famille royale le 21 juin 1791, fut, selon Alexandre Dumas, « le fait le plus considérable non seulement de la Révolution française mais de l’Histoire de France ». L’auteur ne s’était pas satisfait des différentes versions proposées par les historiens de l’époque sur la tentative d’exil de Louis XVI et de sa famille. Alors, plus d’un demi-siècle plus tard, il a refait la route de Varennes accompagné de Paul Bocage. Ce dernier n’apparaîtra dans le récit final que sous la mention « mon compagnon de voyage ». Mué en reporter, Alexandre Dumas a interrogé des vieillards, exploré les lieux où la famille royale est passée, corrigé les erreurs des historiens de son temps. Au passage, il livre les bonnes adresses d’auberges suggérées par son ami Victor Hugo.
Qui pourrait se porter acquéreur ? Une préemption de la Bibliothèque nationale de France n’est, semble-t-il, pas envisagée. Dimitri Joannidès affirme qu’il « est en discussion avec une bibliothèque universitaire américaine qui montre de l’intérêt pour le manuscrit ». Cependant FauveParis n’a pas demandé de certificat d’exportation en amont. En outre, le manuscrit a été présenté à Xavier Darcos, de l’Académie française, devant l’objectif des caméras de TF1. Interrogé sur une potentielle acquisition par une institution française, l’ancien ministre de l’Éducation nationale ne s’est pas prononcé.
--
Vente le 26 septembre, FauveParis.