Sous les cimes de la cathédrale de Beauvais s’enracine un cloître de béton. Aussi horizontale que l’édifice gothique est vertical, la construction aplatie de l’architecte André Hermant est mal aimée des Beauvaisiens. Initié par le ministre de la Culture André Malraux et achevé en 1976, le bâtiment a d’abord abrité la Galerie nationale de la tapisserie. Passé aux mains de la Ville en 2013 et rebaptisé « Quadrilatère » dans la foulée, le centre d’art est depuis au cœur des ambitions culturelles de la préfecture de l’Oise, qui entend le sortir de l’ombre de son écrasante voisine. « Après une première phase de travaux, le Quadrilatère va bénéficier d’un projet de restructuration pour devenir un important centre d’art et d’architecture, en lien étroit avec l’histoire et le patrimoine de la ville », explique Lucy Hofbauer, historienne de l’architecture et directrice des lieux depuis 2019.
LES QUELQUE QUARANTE PROJETS PRÉSENTÉS ATTENDENT DANS LES MURS DEPUIS PRÈS D’UN AN
Son équipe s’est mise en quatre la semaine dernière pour la présentation en petit comité de l’exposition qui inaugure la première étape de cette renaissance. Intitulée « Premier contact », elle est consacrée à l’artiste et architecte mexicain Santiago Borja, qui n’aime pas le mot « rétrospective » et préfère parler d’un « état des recherches ». Arrivés du Mexique au Havre par bateau, le 15 mars 2020, les quelque quarante projets présentés attendent dans les murs depuis près d’un an. Les œuvres se découvrent en même temps que l’espace de 2 000 mètres carrés, plus grand qu’on l’imagine avec son sous-sol et ses salles emboîtées les unes dans les autres. La lumière y entre à plein. Dans presque chaque espace, des baies vitrées laissent apercevoir le chevet de la cathédrale que la forme du bâtiment d’André Hermant épouse.
Si le contraste entre l’architecture gothique et les codes de l’UAM frappe à l’extérieur, le choc des cultures est aussi l’un des ressorts de l’exposition de Santiago Borja, qui adore les « juxtapositions entre la culture occidentale et les cultures indigènes ». Né en 1970, il a reçu une formation d’architecte à Mexico avant de se tourner vers la peinture. Tournant en 2005 : il s’oriente vers un travail qui mêle les arts plastiques, l’architecture et l’anthropologie. « Le travail très généreux de Santiago Borja est en mesure de relier chacun de nous tout en disant quelque chose d’universel. Il questionne en particulier les systèmes de la culture occidentale rationnelle et revisite, avec beaucoup d’humilité, certaines icônes du XXe siècle », souligne Aurélien Vernant, commissaire de l’exposition avec Lucy Hofbauer.
LE CHOC DES CULTURES EST L’UN DES RESSORTS DE L’EXPOSITION
Ces icônes se nomment Le Corbusier, Richard Neutra, Mies van der Rohe mais aussi Jung, Lévi-Strauss et Freud. Ce dernier est passé au filtre de la culture mexicaine de Santiago Borja : une photographie en noir et blanc du père de la psychanalyse se pare de motifs traditionnels, son célèbre divan, d’un tissu coloré huichol… Plus loin, un diagramme de personnalité de Jung est transposé dans un « filet » tissé par l’artiste au centre d’un grand cercle en bois, lui-même pris dans un autre filet, faisant référence cette fois aux attrape-rêves suspendus au-dessus des berceaux, issus de la culture des Ojibwés et désormais commercialisés en masse pour les touristes. L’art contemporain européen n’est pas en reste dans ce patchwork culturel. Prêtées par le FRAC Grand Large - Hauts-de-France, des œuvres de Daniel Buren, André Cadere, Hans Haacke, Ugo Rondinone, Aurelie Nemours et Ettore Sottsass dialoguent à la fin du parcours avec des pièces textiles de Santiago Borja. Deux tapisseries de l’artiste font écho à Sol LeWitt et à Frank Stella, mais aussi à la fonction originelle du lieu, ancien centre de la tapisserie.
Pluridisciplinaire, l’exposition de Santiago Borja incarne bien la nouvelle mission à quatre axes du Quadrilatère : arts, création, patrimoine et histoire. « Il ne s’agit pas seulement de faire de ce lieu un bel écrin mais de proposer des thématiques d’expositions qui résonnent avec l’histoire de la ville et celle de ce bâtiment », précise Hélène Liteau-Basse, directrice des affaires culturelles de la Ville de Beauvais. Après une première phase de travaux de rénovation thermique en 2019, la Ville de Beauvais lancera début 2022 une importante réhabilitation du Quadrilatère. Chiffré à 8 millions d’euros, le chantier doit s’achever en 2024. Avec pour modèle le musée Chagall à Nice, un autre édifice d’André Hermant, il doit permettre l’aménagement de jardins entre le centre d’art et la cathédrale, la mise en place d’un café, le développement d’un CIAP (Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine), un parcours scénographique pour éclairer les vestiges archéologiques intégrés dans le bâtiment, des espaces d’accueil et de médiation.
«Nous avons une vraie problématique de déficit d’identité et de désamour de la part des habitants, pour un lieu dont la vocation n’est pas immédiatement visible depuis l’extérieur », affirme Hélène Liteau-Basse, qui insiste sur la nécessité de « recoudre le lien avec la population ». Le Quadrilatère vise le label « Architecture remarquable du XXe siècle », et plus tard, celui de « centre d’art contemporain d’intérêt national ». À terme, le lieu aimerait devenir un passage obligé de la création contemporaine, dans une ville en mutation de 58 000 habitants qui peut compter certes sur son incontournable cathédrale, mais aussi sur un théâtre labellisé « Scène nationale », une SMAC (Scène de Musiques Actuelles) ou encore sur le MUDO, Musée de l’Oise installé dans l’ancien palais épiscopal… Autant d’atouts qui pourraient faire de Beauvais un nouveau pôle culturel des Hauts-de-France.
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«Santiago Borja. Premier contact», jusqu’au 19 septembre, Le Quadrilatère, 22 rue Saint-Pierre, 60 000 Beauvais, www.culture.beauvais.fr