Entre l’Hôtel de ville et Saint-Paul, sur les quais de la Seine, à Paris, la grande barre de la Cité internationale des arts a longtemps été un lieu discret, presque fantomatique. Pourtant, son emprise géographique est immense et s’étend même, au-delà de l’immeuble principal, à des espaces situés dans les rues adjacentes – trois cent vingt-cinq artistes peuvent y être accueillis simultanément, principalement dans ce bâtiment mais aussi villa Radet, sur les hauteurs de Montmartre. Cette structure privée, imaginée dès 1937 et inaugurée en 1965 par Simone et Félix Brunau, est inspirée d’un modèle finlandais de l’artiste Eero Snellman : elle est destinée à accueillir à Paris des créateurs étrangers et français pour des résidences temporaires. Longtemps, les artistes passaient entre ses murs en laissant derrière eux une simple fiche cartonnée. De Serge Gainsbourg à Louise Bourgeois, nombreux sont ceux dont l’histoire se souvient. Mais, de leurs travaux menés sur place, on sait peu de choses.
UN SINGULIER HAVRE ARTISTIQUE
L’arrivée d’Henri Loyrette en 2015 à la tête du conseil d’administration et celle de Bénédicte Alliot en 2016 à la direction de la maison ont radicalement retourné la situation. L’équipe s’est étoffée, avec la nomination notamment de Vincent Gonzalvez comme responsable des résidences et, tout récemment, de l’historienne d’art Natasa Petresin-Bachelez à la tête de programmes culturels engagés.
La Cité internationale des arts a été élaborée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. « André Malraux ne voulait pas de ce bâtiment. C’est le général de Gaulle lui-même qui a soutenu sa construction », raconte Bénédicte Alliot. Son fonctionnement a cela d’unique qu’il est assuré par un ensemble de « souscripteurs » privés (galeries, fondations, entreprises) et publics (États). Dans les couloirs, des petites plaques en Plexiglas indiquant les noms des pays font rêver à des horizons souvent lointains. L’État français, la Ville de Paris et l’Académie des beaux-arts se sont engagés dès l’origine. Le modèle économique de cette fondation reconnue d’utilité publique a été précurseur à l’époque, puisque cent trente-cinq partenaires contribuaient au fonctionnement de cet écosystème en finançant les artistes.
En général, mille deux cents artistes y résident chaque année – sept cent cinquante en 2020, alors que les frontières se sont fermées. Par l’accueil d’artistes étrangers, parfois de réfugiés politiques, la Cité a même joué, au fil des ans, un rôle diplomatique et politique original, animée d’un esprit de service public. Elle est d’une certaine manière un reflet d’un état du monde, ce que Bénédicte Alliot porte aujourd’hui pleinement : « La Cité est un havre depuis toujours. Il y a par exemple, depuis l’origine, un atelier réservé à un artiste venant d’un pays où il ne peut pas travailler pour des raisons politiques. » En outre, attentive à la précarisation de certains résidents en raison de la crise sanitaire, elle est parvenue au printemps dernier à obtenir des fonds exceptionnels de l’Académie des beaux-arts et de la Fondation Antoine de Galbert.
Au cours des années récentes, le lieu, jusqu’alors dépourvu d’espaces d’échange, hormis les abords de l’auditorium et le hall d’entrée, s’est largement ouvert aux professionnels et aux visiteurs. Un nouvel espace d’exposition destiné aux résidents, « La Petite Galerie », a été aménagé, s’ajoutant aux vastes salles consacrées à des expositions extérieures, dont la programmation est également en train d’être reprise en main. Depuis quelques années, certaines salles ont ainsi été utilisées par des artistes comme lieu de travail pour préparer de grandes expositions parisiennes. Des espaces de convivialité et de parole ont été mis en place – par exemple un café et des tables dehors, tout simplement. On se prend même à imaginer l’aménagement des abords immédiats de la Cité dans un geste d’urbanisme qui la ferait sortir de l’angle mort géographique paradoxal dans lequel elle se trouve, en plein Marais. C’est un peu de l’utopie initiale du projet qui semble réinsufflée.
UN RENOUVELLEMENT DYNAMIQUE
Les artistes sont en général accueillis pour une durée variant de deux mois à un an. Aujourd’hui, ce ne sont pas des artistes « émergents », comme c’est souvent le cas dans les résidences. Leur moyenne d’âge – 42 ans – suppose plutôt chez eux une certaine maturité dans leurs recherches, un temps long de travail. Le processus de sélection des candidats s’est affiné : « Nous avons progressivement et minutieusement renoué le dialogue avec nos souscripteurs – un dialogue qui s’était parfois distendu », raconte Bénédicte Alliot. Des membres de l’équipe font désormais partie des jurys de sélection des artistes entrants, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’architecture a été réintroduite parmi les disciplines acceptées. Plusieurs nouveaux partenariats ont été mis en place, en particulier avec le Centre national des arts plastiques pour l’accueil de commissaires d’exposition dans le but d’enrichir la dynamique d’échange entre les artistes, mais aussi avec la Fondation Daniel et Nina Carasso ou avec la Fondation Art Explora, qui prend en charge une partie de la restauration du site de Montmartre.
De nouveaux programmes ont été développés, et des zones inédites du monde ont été irriguées, notamment dans les territoires ultramarins, en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Amérique centrale, ainsi que du côté des pays scandinaves. « Une véritable démarche d’accompagnement des résidents a été élaborée avec ces nouveaux partenaires. Nous construisons les résidences avec eux, afin de jouer pleinement notre rôle et de ne pas être uniquement un centre d’hébergement pour artistes », précise Bénédicte Alliot. Des systèmes de soutien pendant les mois qui suivent la résidence ont été instaurés pour permettre aux artistes de finaliser leurs travaux. Par ailleurs, des projets hors les murs ont été lancés en France et à l’étranger : « La Cité internationale des arts est, depuis 2019, un pôle de référence pour la création francophone et les francophonies. Ainsi, le Centre des monuments nationaux a sollicité nos préconisations à propos d’un programme de résidences à la future Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts [Hauts-de-France] », ajoute sa directrice.
L’époque où la Cité internationale des arts sommeillait au bord de la Seine semble révolue. Paris est aujourd’hui une ville qui attire les artistes et, parmi eux, de nombreux étrangers. Comme le souligne enfin Bénédicte Alliot : « Nous devons faire connaître cette scène parisienne. La pandémie est un moment propice pour leur permettre de travailler. Depuis le premier confinement, l’institution n’a jamais été fermée. Nous avons considéré qu’il en allait de notre responsabilité. Pour nous, 2020 a été un accélérateur. »
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Cité internationale des arts, 18, rue de l’Hôtel-de-Ville, 75004 Paris, citedesartsparis.net