« Les femmes artistes. Une telle chose – ou personne – n’existe pas, a déclaré un jour l’artiste surréaliste Dorothea Tanning. C’est tout autant une contradiction dans les termes qu’“artiste homme” ou “artiste éléphant”. Vous pouvez être à la fois une femme et une artiste, mais l’une est une évidence et l’autre, c’est vous. »
On ne peut qu’imaginer sa réaction à l’idée de faire partie de la première vente aux enchères de Sotheby’s consacrée exclusivement aux artistes féminines, au mois de mai. La vente, intitulée « (Women) Artists » – les parenthèses étant un clin d’œil au débat sur la classification des sexes – s’étendra du XVIIe au XXIe siècles et comprendra des peintures, des gravures, des sculptures et du design. La demande pour ces créatrices semble en hausse, mais pas suffisamment pour justifier une vente aux enchères en direct dans un lieu de choix et en soirée. La vacation se déroulera donc en ligne du 20 au 27 mai.
La tenue d’une vente aux enchères spécifique pour les femmes est peut-être un piège. Comme le concède Marina Ruiz Colomer, responsable des ventes de jour chez Sotheby’s, « nous sommes tous légèrement partagés, mais, en tant que maison de ventes aux enchères, nous voulons célébrer les femmes artistes et prendre part au débat sur les artistes qui se trouvent être du sexe féminin. C’est une discussion que nous avons depuis des années chez Sotheby’s. »
Les préjugés culturels, le déséquilibre dans les responsabilités parentales et le manque de représentation dans le monde de l’art sont autant de facteurs qui ont conduit à une sous-évaluation chronique des femmes artistes.
Des maris vaniteux en sont une autre raison. Plusieurs femmes présentes dans la vente étaient mariées à des artistes, qui les ont éclipsées de leur vivant. Dorothea Tanning, dont le record aux enchères est de 1,2 million de dollars, a été l’épouse d’un autre surréaliste, Max Ernst, dont l’œuvre la plus chère a été adjugée 16,3 millions de dollars – bien que, comme Dorothea Tanning, Max Ernst ait été un grand défenseur de l’égalité des sexes. Tout au long de sa vie, Tanning s’est efforcée de ne pas être définie en fonction de son couple. Elle déclara un jour: « Je ne l’ai jamais entendu [Max Ernst] utiliser le mot “épouse” à mon égard. Il était vraiment désolé de cette condition de la femme ».
FRANÇOISE GILOT AVAIT L’AMBITION DE SE FAIRE UN NOM COMME ARTISTE
Les consignations d’œuvres sont encore ouvertes, mais, en l’état, The Witch (1950), une toile sombre de Dorothea Tanning, est actuellement le lot phare de la vente, avec une estimation de 220 000 à 320 000 livres sterling.
Françoise Gilot, dont les dessins rivalisent avec ceux de son ancien amant Pablo Picasso, est représentée dans la vente de Sotheby’s par un portrait de Paloma, l’un des deux enfants qu’elle a eus avec Picasso. L’œuvre semi-abstraite Paloma à la Guitare (1965) est estimée de 120 000 à 180 000 livres sterling. Françoise Gilot avait l’ambition de se faire un nom en tant qu’artiste, mais, comme elle le raconte dans ses mémoires, Vivre avec Picasso (1964), Pablo Picasso, plus âgé qu’elle, finit par la persuader d’abandonner sa famille et de s’installer avec lui. Elle est immédiatement devenue son étudiante, sa partenaire et son assistante. Elle quittera Picasso dix ans plus tard.
TOUTES LES FEMMES NE SONT PAS RESTÉES DANS L’OMBRE DES HOMMES DE LEUR VIE
Sept œuvres de la série Facial Hair Transplants (1972) de l’artiste cubano-américaine Ana Mendieta seront aussi mises à l’encan dans des estimations allant de 25 000 à 35 000 livres sterling. La carrière prometteuse d’Ana Mendieta a été interrompue par sa mort en 1985, à l’âge de 36 ans; son mari, le sculpteur Carl Andre, avait été accusé de l’avoir poussée par la fenêtre de leur appartement new-yorkais du 34e étage, avant d’être acquitté.
Toutes les femmes ne sont pas restées dans l’ombre des hommes de leur vie. L’œuvre de Rachel Ruysch, peintre hollandaise du XVIIe siècle, a éclipsé celle de son mari Juriaen Pool. Leurs records s’élèvent respectivement à 2,5 millions de dollars et 6 263 dollars. Rachel Ruysch aurait retardé son mariage pour se concentrer sur sa carrière jusqu’à sa rencontre avec Juriaen Pool, à l’âge de 30 ans. Même après son mariage, elle a continué à signer ses tableaux de son nom de jeune fille et, bien qu’elle ait eu dix enfants, n’a cessé de peindre jusqu’à ses 80 ans. Juriaen Pool, quant à lui, a abandonné sa propre carrière face au talent de sa femme. Forest floor still life with a pool de Rachel Ruysch (estimée de 150 000 à 200 000 livres sterling) est la pièce la plus ancienne de la vente. Peinte à l’âge de 22 ans, en 1687, elle n’a plus été vue depuis son acquisition à La Haye dans les années 1950.
Ces dernières années, il a été beaucoup question de la nécessité d’accroître la visibilité des femmes artistes, et certains indices laissent à penser que leurs cotes augmentent en même temps que l’attention portée aux créatrices dans les expositions, les livres et les médias.
Selon les Sotheby’s Mei Moses Art Indices, au cours des cinq dernières années, les prix des artistes femmes ont augmenté de 32% et ont dépassé de 29% la croissance des artistes masculins. Le marché de l’art contemporain et celui des maîtres anciens ont connu une croissance toute particulière. L’augmentation des prix des artistes femmes a dépassé celle des hommes de 49% sur le marché de l’art contemporain et de 45% sur celui des maîtres anciens et du XIXe siècle. Néanmoins, seules deux œuvres de femmes sont entrées dans le top 100 des peintures aux enchères, alors que les femmes représentent le principal thème d’environ la moitié des 25 premières ventes. L’égalité des sexes est, semble-t-il, encore loin.