Près d’une quinzaine d’œuvres viennent, cette année, renouveler la proposition d’art contemporain du domaine de Chaumont-sur-Loire, se répartissant sur les cimaises des différentes bâtisses du lieu, dont le château, et en plein air. Il est de coutume que celles-ci déclinent un lien avec la nature. La fournée 2021 n’y déroge pas, flirtant avec des registres extrêmes : d’une part, la puissance, la hardiesse; de l’autre, la délicatesse, l’évanescence. Point d’angélisme néanmoins, car certaines œuvres peuvent s’avérer trompeuses. À commencer par ces « nids » aux formes généreuses suspendus par Abdul Rahman Katanani à un arbre haut du parc. Il faut s’en approcher pour se rendre compte qu’ils sont, en réalité, façonnés de fil de fer barbelé et l’on aurait bien du mal à leur accoler des vocables comme « accueillant » ou « protecteur », tant ils disent une souffrance. Idem, dans la Grange aux abeilles, où Chris Drury s’est appuyé sur une forêt de fils de nylon tendus du sol au plafond pour développer Nuages d’épines et de lichen, installation ô combien gracile représentant une amanite vireuse, l’un des champignons les plus toxiques appelé aussi Ange de la mort. Pas étonnant dès lors si, l’instant d’un clin d’œil, en une image quasi subliminale, ces frêles épines se transforment en… « champignon atomique », ambivalence d’une nature souvent moins amicale qu’il n’y paraît.
LA FOURNÉE 2021 FLIRTE AVEC LA PUISSANCE, LA HARDIESSE, LA DÉLICATESSE, L’ÉVANESCENCE
On le constate, le « fil » – au sens propre – se fait conducteur, élément constitutif de nombreuses pièces, qu’il soit de fer barbelé, de nylon ou de laine. En fils de lin et de soie, les Satellites de Sheila Hicks constellent les parois de l’escalier d’honneur du château et leurs fibres aux couleurs infinies réveillent la blancheur patinée du tuffeau. Dans la galerie basse du fenil, la pièce aérienne de Chiharu Shiota, Direction de conscience, explore les similitudes entre corps humain et nature. Constitué d’une multitude de cordelettes noires tissées en demi-cercles, l’ensemble simule les arbres tels des vaisseaux sanguins ou peut-être un neurone et sa myriade de dendrites, flottant dans l’espace comme en lévitation. Dans l’Asinerie, Carole Solvay a travaillé avec la plume d’oiseau. Au rez-de-chaussée, L’Arbre à palabres se compose d’un réseau arachnéen de calames maintenus par des fils de nylon, qui vient littéralement gober l’antique lustre à pampilles et s’anime d’imperceptibles vibrations, rais de soleil ou courants d’air.
A contrario, avec les barbes de plume cette fois, Carole Solvay a conçu, à l’étage, l’œuvre Résonances, comme un négatif de la première, sorte de « nid moelleux » à l’allure de corail qui trouble l’obscurité. Dans l’appartement des invités, l’œuvre de Pascal Convert, elle, ne tient qu’à un fil. Sur un parquet branlant, on pénètre dans l’intimité d’une chambre d’enfant : un lit, deux candélabres, trois cadres, empreintes de cristaux figés dans le sable par la cuisson. De ces objets-fossiles sourd une extrême fragilité qui hésite entre nostalgie et introspection.
LA NATURE, SES SOUBRESAUTS ET AUTRES REFLETS MOUVANTS NE LAISSENT PAS D’INSPIRER
La nature, ses soubresauts et autres reflets mouvants, en tout cas, ne laissent pas d’inspirer, à l’instar des « lianes » de grès émaillé aux verts subtils Supernatures, dispersées dans les écuries par la céramiste Safia Hijos. Réunies dans la salle du Porc-Épic, les 72 estampes Phénomènes de Jean Dubuffet se font mémoires des Éléments. Jouant avec le grain ou les défauts du papier, accidents et effets de matière chahutent à l’envi le noir uniforme de la lithographie pour offrir « un registre de nuances inespéré», aux titres poétiques : Le Sol espiègle, Spectacle transitoire de l’eau, Manteau léger… Dans les galeries de la cour Agnès-Varda, le dessin est pour la première fois à l’honneur. As du détail, Fabien Mérelle décortique au plus près la nature en un vertige du trait. Mixant crayon et aquarelle, Devenir l’arbre – une tête en forme de tronc – ou L’Ombre de l’arbre – un tronc dont l’ombre est anthropomorphe – gomment la barrière entre l’artiste et le paysage. A contrario, le polyptyque à grande échelle Nuages de François Réau, réalisé au graphite et à la mine de plomb, métamorphose ces cumulonimbus surdimensionnés en un fascinant paysage en perpétuel mouvement.
Puissants, enfin, sont les Paysages de Paul Rebeyrolle (1926-2005), 26 tableaux accrochés dans les galeries basse et haute du château, dont certains de grand format – La Douleur du monde, Les Suicidés. La nature y oublie la délicatesse pour se faire épaisse et rugueuse, à l’égal de ces matériaux bruts flanqués à même la toile. La pièce de Miquel Barceló, une « conque » en céramique bariolée, promet d’être de la même teneur, mais elle ne sera installée qu’en juin, dans un bosquet du parc historique.
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Domaine régional de Chaumont-sur-Loire, 41150 Chaumont-sur-Loire.