Bientôt, on accédera au nouveau cours Paul-Ricard par un escalier montant de la rue d’Amsterdam, dans le 9e arrondissement de Paris. La Fondation Pernod Ricard s’installe dans un bâtiment flambant neuf de l’architecte Jacques Ferrier, qui abrite désormais le siège du groupe à Paris. Le bleu et l’or des lames de verre sur la façade sont inspirés d’un tableau de Claude Monet. Dans l’espace dévolu à la Fondation, l’agence NeM a conçu un projet à échelle humaine, une boîte à outils pour fabriquer des expositions, des performances, des conférences, et pour vivre tout simplement. Colette Barbier, la directrice de la Fondation, a choisi cette jeune agence parce que le duo Niney et Marca avait déjà conçu l’aménagement de Bétonsalon dans le 13e arrondissement et celui de la Bourse de Commerce (Pinault Collection) : « J’ai l’impression de travailler avec eux comme avec des artistes. Ils connaissent notre métier, et cela les intéresse », dit-elle. Dans l’entrée, le café Mirette, qui disposera d’une grande terrasse, sera entouré par les rayonnages d’une bibliothèque de consultation d’un côté, par une librairie de l’autre (After 8 Books). Plusieurs artistes ont été mis à contribution, comme Mathieu Mercier, Katinka Bock, Maria Lund… Sous une lumière traversante, les 300 m2 de l’espace d’exposition sont un riche terrain de jeu. Quelques détails font sa singularité, comme une petite ouverture donnant sur les rails de la gare Saint-Lazare dont les artistes invités auront tôt fait de s’emparer. Pour la performance et les conférences, les architectes de NeM ont aussi aménagé un petit théâtre ouvert et un auditorium de 130 places, avec de grandes baies qui donnent sur l’animation de la rue.
Un lieu de fidélités
L’histoire commence en 1999, avec la création de la Fondation d’entreprise Ricard, au sein de la filiale française du groupe Pernod Ricard. La mission est confiée à Colette Barbier, qui travaillait à l’époque au département de la communication. « Le groupe fait en général une vraie confiance à ceux qu’il nomme, et ma liberté a été très grande. Il fallait simplement faire les choses de façon extrêmement professionnelle tout en respectant la société qui me soutenait », raconte-t-elle. Elle avait déjà « le goût des gens qui pensent un peu différemment des autres ». Elle s’est donc appuyée sur l’histoire de Paul Ricard, lui-même proche des artistes, sur les valeurs de convivialité de la société et sur de très nombreuses rencontres avec des spécialistes qui l’ont éclairée à propos du monde de l’art. Ce qu’il manquait à l’époque à Paris ? Des soutiens pour les jeunes artistes : la ligne était toute trouvée. Quelques figures ont été déterminantes pour Colette Barbier : « Je cite souvent Catherine Francblin*1, que m’avaient recommandée Fabrice Bousteau et Nathalie Vallois *2. Elle a assuré le commissariat du premier prix Ricard, avec son indépendance d’esprit, son sérieux et sa générosité. Puis elle a conçu les Entretiens sur l’art pendant dix ans, interviewant Daniel Buren, Chen Zhen, Barthélémy Toguo…»
Dès les premières années, la directrice de la Fondation s’est appuyée sur des critiques et commissaires d’exposition, un métier alors bien moins professionnalisé qu’il ne l’est aujourd’hui. Des étudiants en master pro ont même été accueillis pour leur exposition de fin d’année – certains d’entre eux occupent à présent des postes clés dans plusieurs institutions parisiennes. «J’ai beaucoup aimé le regard de ces jeunes gens, et je pense que c’est un métier qui évolue encore. J’ai adoré aussi inviter des artistes à être commissaires, comme Mathieu Mercier, Stéphane Calais, jusqu’à Bertrand Dezoteux qui assurera l’exposition d’ouverture du nouveau site. » La Fondation Ricard, c’est également un lieu de fidélités – Mathieu Mercier signe par exemple un mur dans l’entrée : « Ce que j’apprécie, c’est le soutien que nous apportons aux artistes et ce compagnonnage avec eux bien au-delà des expositions que nous organisons », reprend Colette Barbier. Parmi les ciments de cet édifice ou de cette famille, le Bal Jaune, pendant la Fiac, a joué un rôle non négligeable : « C’était une grande fête pour et par des artistes. Puis, au bout de vingt ans de collaboration avec Beaux Arts magazine, il nous a semblé que les temps avaient changé et qu’il fallait repenser les choses. »
La même idée sous-tend la transformation du prix Ricard, que Colette Barbier a fait évoluer, avec la collaboration de Claire Moulène et toujours en partenariat avec le Centre Pompidou, sous la forme d’un accompagnement pendant deux ans des artistes sélectionnés. Sur son nouveau site, la Fondation semble ainsi renforcer ses missions de production et de spéculation intellectuelle, en proposant plusieurs cycles de conférences inédits, en collaboration avec la revue en ligne AOC [Analyse Opinion Critique] et le journaliste Jean-Marie Durand (collaborateur de The Art Newspaper Édition française). La pluridisciplinarité qui les caractérise n’est pas nouvelle. Les interventions de Michel Maffesoli sur la sociologie, « Les Mardis de l’environnement » avec l’Institut océanographique Paul-Ricard, ainsi que les cycles « Poésie Plate-forme » et « Partitions (Performances) » représentaient déjà une part non négligeable de la programmation, sur des sujets auxquels le monde de l’art s’est intéressé très récemment : « Il est essentiel de ne pas se limiter à l’entre-soi de l’art. Nous sommes ancrés dans le monde d’aujourd’hui, comme nous l’étions il y a vingt ans dans le monde de l’époque », souligne Colette Barbier.
« nous avons l’impression que les grandes productions sont derrière nous, qu’il y a moins de frontières entre la performance, la peinture, l’installation. Surtout, la Fondation n’appartient à aucune chapelle. »
Vers un nouveau public ?
Dès ses débuts, la Fondation d’entreprise Ricard s’est spécialisée dans l’exploration de la scène française, qui a aussi beaucoup évolué en vingt ans. « Je parle plutôt de la scène en France, précise sa directrice. Aujourd’hui, les gens voyagent, les propositions que nous voyons recèlent une diversité de plus en plus large. Nous avons l’impression que les grandes productions sont derrière nous, qu’il y a moins de frontières entre la performance, la peinture, l’installation. Surtout, la Fondation n’appartient à aucune chapelle.» La Fondation d’entreprise Ricard est aussi devenue Fondation Pernod Ricard, rattachée au groupe international. Le sens de ce changement de nom et de statut ? «Au-delà de la France, nous devons désormais soutenir ces artistes à l’étranger. Nous avions déjà commencé à le faire avec le programme “Text Work”, avant même de savoir que nous allions rejoindre le groupe. Je sentais chez les artistes français un réel manque de visibilité. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu commander à des auteurs internationaux des textes sur leurs travaux. »
Ces changements pourraient en outre avoir une incidence sur le type de public qui fréquente la Fondation, jusqu’à présent essentiellement constitué d’acteurs du monde de l’art. « Pour l’instant, confirme Colette Barbier, nous avons effectivement peu sollicité les collaborateurs, nous étions à l’écart des bureaux de Ricard. Aujourd’hui, ils nous soutiennent énormément. Notre rattachement au groupe sera une formidable occasion de nous adresser à eux, sans changer notre programmation, mais en leur préparant des programmes de visite spécifiques, à l’heure du déjeuner, par exemple. Je pense que nous allons créer des vocations de collectionneur ! »
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*1 Critique d’art et commissaire d’exposition.
*2 Respectivement directeur de la rédaction de Beaux Arts magazine et cofondatrice de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois.