Novembre 2016 : Alain Delon se sépare de douze de ses bronzes signés Rembrandt Bugatti chez Christie’s, sous le marteau de François de Ricqlès, alors président de la maison de ventes parisienne. Dans la salle, un homme enchérit pied à pied jusqu’à 872 000 euros pour une Jeune fille. Interloquée, la star tapie tout au fond se lève pour aller féliciter l’audacieux. C’est l’un des derniers coups d’éclat de Michel Périnet, disparu en janvier 2020.
il avait une forte personnalité : courageux dans ses achats et doté d’un œil certain pour découvrir des objets. c’était l’un des plus grands professionnels du marché français
Le 23 juin 2021, le même François de Ricqlès dirigera, toujours chez Christie’s, la vente très attendue de cinquante-quatre pièces d’arts africain et océanien issues de sa collection. Une autre facette de ce collectionneur pugnace. « Michel Périnet avait une forte personnalité : courageux dans ses achats et doté d’un œil certain pour découvrir des objets. C’était l’un des plus grands professionnels du marché français depuis les années 1970, dans la lignée d’un Nouran Manoukian », confie le commissaire-priseur, qui a créé sa propre société de conseil depuis son départ de Christie’s.
De l’art déco aux arts premiers
À l’instar de Manoukian, Périnet a jeté très tôt son dévolu sur l’Art nouveau et l’Art déco. Joaillier de formation, il se lance avec succès, dans les années 1950, comme marchand, d’abord rue Danielle-Casanova, dans le centre de Paris, puis rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le 8e arrondissement, où sa petite boutique fait face à l’antiquaire Jacques Kugel. Des esprits éclairés, tel Karl Lagerfeld, aux Américains épris d’art, dont le couple Peter Brant-Stephanie Seymour, il séduit une clientèle aussi chic que fortunée. Un exemple ? La totalité des joyaux de la prestigieuse collection baptisée « Beyond Boundaries », vendue en 2017 par Christie’s à Genève, celle d’un couple européen amoureux des avant-gardes, provenait de chez Michel Périnet. Dont un bijou de René Lalique ayant atteint un record resté inégalé, proche du million de francs suisses (environ 915 000 euros). En Art déco, l’un de ses faits d’armes fut d’avoir acheté aux tout jeunes Bob et Cheska Vallois, pas encore les rois de ce marché alors balbutiant, le fameux fauteuil « aux dragons » d’Eileen Gray, qu’il revendit à Yves Saint Laurent et Pierre Bergé par la suite. Un siège devenu, en 2009, lors de la vente de leur collection chez Christie’s, l’œuvre d’arts décoratifs la plus chère au monde (22 millions d’euros). En 2005, il se sépare, auprès de Camard & Associés, d’une grande statuette représentant une jeune fille en bronze sculptée par Gustave Miklos, achetée, là encore en visionnaire, dès 1972. Acquise par Laurent Negro pour 1,6 million d’euros, elle sera revendue par ce dernier lors de la dispersion-fleuve, en 2011 par Christie’s, des collections du château de Gourdon (Alpes-Maritimes). Last but not least, Michel Périnet eut le même flair pour Francis Picabia, qu’il redécouvrit alors que celui-ci était tombé en désuétude.
Lors de la dispersion historique, en 1972, de la collection du couturier Jacques Doucet, référence absolue du goût depuis plusieurs générations, il « craque » justement pour une aquarelle de Picabia. Mais aussi pour un casque Kota du Gabon accroché près des Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso. « Il a été acquis pour un prix record par Périnet, capable de dépenser beaucoup d’argent quand il voulait une pièce, quitte à réfléchir après coup au moyen de trouver la somme », précise le marchand Alain de Monbrison, l’un des quatre spécialistes mandatés avant sa mort par le collectionneur pour s’occuper de cette vente, avec ses confrères Lance Entwistle, Bernard Dulon et François de Ricqlès. Ce casque est aujourd’hui estimé entre 300 000 et 400 000 euros.
Autre clou de la vente, une tête Fang ayant appartenu au peintre Maurice de Vlaminck (est. de 2 à 3 millions d’euros). En provenance du Congo toujours, un masque Luba (est. de 1,5 à 2 millions d’euros) frappe par ses saisissantes scarifications – « je n’ai jamais vu une pièce pareille de ma carrière », souligne François de Ricqlès. Un massif masque d’épaule Baga (Guinée) attend preneur pour 800 000 à 1,2 million d’euros. « Nous sommes face à un rassemblement de chefs-d’œuvre », juge Alain de Monbrison.
Pièces d’exception
L’autre volet de la vente offre une pléiade d’œuvres d’art océanien dont les spécialistes pointent la rareté et la qualité. C’est d’ailleurs un masque blanc Tapuanu des îles Carolines (est. 500 000 - 700 000 euros) qui orne la couverture du somptueux catalogue de vente. Au sein de cet exceptionnel ensemble, une statue noire Uli de Nouvelle-Irlande (est. 600 000-800 000 euros) fait partie des sept exemplaires connus de ce type et devrait atteindre des records. Tout comme une pagaie Rapa de l’île de Pâques (est. de 700 000 à 1 million d’euros) qui était placée, chez Doucet, à côté du Revenant de Giorgio De Chirico, avant d’être achetée par Bergé et Saint Laurent. Selon Alexis Maggiar, directeur du département Arts d’Afrique et d’Océanie chez Christie’s, il est rarissime qu’une collection d’arts premiers offre autant d’œuvres majeures, la plupart n’ayant qu’une ou deux « locomotives ».
Après cette vente, il sera difficile de réunir autant de pièces de ce niveau de qualité, car il n’y en aura plus sur le marché
« Depuis un an, le marché est privé de pièces phares, car la crise sanitaire dissuade de vendre », souligne Bernard Dulon. Les amateurs du monde entier aux poches bien garnies et en quête d’exception devraient donc se ruer sur cette succession. « Après cette vente, il sera difficile de réunir autant de pièces de ce niveau de qualité, notamment celles provenant de l’île de Pâques, car il n’y en aura plus sur le marché », précise l’expert. Quant au fait que cette collection démarrée voici un demi-siècle n’a quasiment jamais été montrée ni prêtée par son propriétaire, cela ne devrait pas nuire aux enchères. « La collection Vérité a atteint des sommets, note Alain de Monbrison. Or, presque personne ne l’avait vue avant. »