Une exposition de la version de la Joconde du musée du Prado, inaugurée le 28 septembre, jette une lumière nouvelle sur l’original de Léonard de Vinci. La manifestation, intitulée « Léonard et la copie de la Joconde : nouvelles approches des pratiques d’atelier de l’artiste », qui se tient jusqu’au 23 janvier 2022 au musée madrilène, est la première exposition consacrée à ce tableau du Prado. À certains égards, la copie donne une meilleure idée des intentions de l’artiste que l’original conservé au musée du Louvre, à Paris.
Bien que l’institution attribue cette copie à l’un des deux assistants identifiés actifs dans l’atelier du maître, Martin Kemp, de l’Université d’Oxford, est plus réservé. Ce spécialiste de Léonard de Vinci, qui n’a pas pris part à la préparation de l’exposition, affirme que « la femme du Prado renvoie un sentiment de charmante anxiété différent de la complicité spirituelle de la Mona Lisa de Léonard ».
Il y a dix ans encore, le tableau du Prado était considéré comme l’une des nombreuses copies anciennes de la Joconde. Les conservateurs ont depuis constaté que son fond noir était un surpeint ultérieur, qui recouvrait un paysage. Cette couche a été retirée et une découverte passionnante a été annoncée en 2012 : l’original du Louvre et la copie du Prado partagent des dessins préparatoires similaires. Il est donc vraisemblable qu’ils ont été peints côte à côte dans l’atelier de Léonard au même moment, et que la copie du Prado a été réalisée alors que l’original n’était pas entièrement achevé.
Il est important de noter que certaines parties de la composition de la copie sont mieux préservées que dans l’original. Il s’agit notamment des barreaux de la chaise, du volant sur le bord du tissu sur la poitrine de la femme et du voile autour de son bras gauche. Les couleurs de la copie du Prado sont considérablement plus vives et vraisemblablement plus proches de l’original, car le tableau du Louvre présente un aspect fortement assombri par un vernis décoloré. Dans la copie, les lèvres de la femme arborent la teinte rosée notée par l’historien de l’art Giorgio Vasari.
La datation de la copie de la Joconde du Prado pose question. Le site Internet du musée la date actuellement de la même époque que l’original du Louvre, soit entre 1503 et la mort de Léonard, en 1519. Cependant, dans l’exposition, le cartel indique une période plus précise, soit 1507-1516.
IL EST VRAISEMBLABLE QUE LA COPIE DU PRADO A ÉTÉ RÉALISÉE ALORS QUE L’ORIGINAL N’ÉTAIT PAS ENTIÈREMENT ACHEVÉ
Le site Internet du Prado continue d’affirmer que sa copie est due à « l’un des élèves de Léonard, probablement Andrea Salaì ou Francesco Melzi ». Andrea Salaì a rejoint l’atelier de Léonard de Vinci en 1490 et est peut-être ensuite devenu son amant; Francesco Melzi est arrivé vers 1506. Martin Kemp remet en question ces attributions : « L’unique tableau signé et daté de Salaì n’a rien en commun avec la copie du Prado, et nous ne disposons d’aucun ensemble fiable de tableaux attribuables avec certitude à Melzi. » Le Prado semble désormais partager cette opinion, son communiqué de presse publié le 27 septembre ne mentionnant aucun des deux membres de l’atelier. Plus intéressant encore, le Prado attribue désormais au même artiste non identifié de l’atelier deux autres copies d’après Léonard de Vinci. Il s’agit de la version dite Ganay (1505-1515) du Salvator Mundi, aujourd’hui dans une collection privée, et de la Sainte Anne du Hammer Museum de Los Angeles (1508-1513).
L’exposition aborde aussi plus largement la question d’autres copies issues de l’atelier du maître. Les conservateurs du Prado écartent le fait que l’une ou l’autre des principales versions de La Madone aux fuseaux (1501-1510) soit des œuvres autographes, mais affirment qu’il s’agit de productions d’atelier. La version de Buccleuch est actuellement prêtée aux National Galleries of Scotland, à Édimbourg, tandis que l’autre se trouve dans une collection privée. Toutefois, le site Internet du musée d’Édimbourg considère toujours la version de Buccleuch comme étant de la main du maître. Les débats sur les attributions d’œuvres à Léonard de Vinci sont décidément loin d’être achevés.
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« Léonard et la copie de la Joconde : nouvelles approches des pratiques d’atelier de l’artiste », jusqu’au 23 janvier 2022, Museo del Prado, Madrid.