À la fin du mois de juin, par une chaude nuit new-yorkaise, le Hispanic Society Museum and Library a convié des centaines de personnes à une fête célébrant l’ouverture de l’exposition « In the Heights : From University to the Silver Screen », qui retraçait l’histoire des comédies musicales de Lin-Manuel Miranda dans le quartier dominicain voisin, et « Latinx Diaspora: Stories from Upper Manhattan », une exposition présentée en extérieur devant le musée.
Ce joyeux événement a également marqué le début d’une renaissance pour cette institution du nord de Manhattan à la réputation de belle endormie, fermée au public depuis 2017. Les deux expositions ont constitué une rupture avec la programmation habituelle de ce musée d’art espagnol et portugais fondé en 1904, dont la collection compte pour œuvre majeure le Portrait de la duchesse d’Albe (1797) par Francisco de Goya. Elles ne correspondaient peut-être pas non plus à ce que l’on attendait du nouveau directeur de l’institution, Guillaume Kientz, expert de Velázquez et du Greco, qui a pris ses fonctions en mars 2021. « L’Hispanic Society ne se limite pas aux maîtres anciens », défend ce dernier. Faisant remarquer que son fondateur, Archer Huntington, collectionnait également les œuvres d’art de son époque, il explique vouloir créer à son tour des ponts entre l’institution, l’art des XXe et XXIe siècles et le public latino à proximité.
Nommé pour la première fois à la direction d’une institution, Guillaume Kientz est spécialiste de la peinture et sculpture espagnoles, portugaises et latino-américaines. Conservateur au département des peintures du musée du Louvre à Paris pendant près de dix ans, puis au Kimbell Art Museum à Fort Worth, au Texas, il est confronté aux mêmes problématiques que les autres directeurs de musées – pandémie, justice sociale, campagnes de syndicalisation, etc. Les principales salles du musée occupent un bâtiment vétuste qui n’est pas climatisé, ne répond pas aux normes d’accessibilité et reste fermé. Le grand chantier de rénovation a été lancé en commençant par la cour principale du bâtiment, ce qui permettra également d’accéder à la célèbre série Vision d’Espagne de Joaquín Sorolla, l’objectif étant d’achever les travaux au début de l’année 2023.
CRÉER DES PONTS ENTRE L’INSTITUTION, L’ART DES XXE ET XXIE SIÈCLES ET LE PUBLIC LATINO À PROXIMITÉ
Mais d’autres chantiers n’ont toujours pas trouvé leur financement. Selon Philippe de Montebello, l’ancien directeur du Metropolitan Museum of Art qui préside le conseil d’administration de l’Hispanic Society, de 15 à 20 millions de dollars ont déjà été réunis, mais il en faut beaucoup plus pour que l’ensemble du bâtiment puisse rouvrir. Guillaume Kientz a pour mission de lever ces fonds et de concevoir des programmes qui permettront d’augmenter la fréquentation et d’attirer les mécènes. « Ma stratégie est d’être dynamique, de nous placer sur la carte », avance-t-il.
Dans l’immédiat, le bâtiment Est récemment rénové, utilisé comme réserve avant l’ouverture de l’exposition « In the Heights : From University to the Silver Screen », accueillera des expositions temporaires et présentera des accrochages en rotation de la collection permanente, explique le nouveau directeur. Le premier, intitulé « Gilded Figures : Wood and Clay Made Flesh », réunira à partir du 15 octobre plus de vingt sculptures polychromes datant de 1500 à 1800, provenant d’Espagne, d’Équateur et du Mexique. Certaines, dont deux pièces d’Andrea de Mena, la fille de Pedro de Mena, ont rarement, voire jamais, été exposées. Les autres étaient montrées à côté des peintures de la collection, qui les éclipsaient.
LE BÂTIMENT EST, RÉCEMMENT RÉNOVÉ, ACCUEILLERA DES EXPOSITIONS TEMPORAIRES ET PRÉSENTERA DES ACCROCHAGES EN ROTATION DE LA COLLECTION PERMANENTE
Cette exposition sera suivie, en janvier 2022, par la présentation de quelques-uns des trésors les plus connus du musée, rentrés temporairement d’une tournée mondiale, mais pour lesquels un jeune conservateur invité (dont le nom n’a pas encore été communiqué) proposera une « nouvelle approche ». Plus tard en 2022, le bâtiment Est accueillera des aquarelles rarement montrées, réalisées par des artistes américains en Espagne et au Portugal, dont Childe Hassam. À l’automne 2023, ce sera au tour d’un don récent de vingt dessins de José Clemente Orozco, ainsi que d’une peinture de la collection.
L’Hispanic Society sera également présente dans le centre de Manhattan à partir du 29 septembre : plus de cent manuscrits et volumes issus de ses collections de livres et ses bibliothèques actuellement inaccessibles seront exposés au Grolier Club. L’ensemble, qui s’étend du XIIe au XIXe siècles, comprend des chefs-d’œuvre de la littérature, des lettres entre les souverains de l’époque et un décret de 1548 de Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique, par lequel il augmente la pension annuelle versée au Titien. À terme, la bibliothèque déménagera dans le troisième bâtiment de l’Hispanic Society, situé de l’autre côté de la place, des espaces qui nécessitent également des aménagements en matière d’accessibilité.
En attendant, la collection de peintures reprendra sa tournée internationale l’année prochaine, en s’arrêtant à Toronto et à Londres; douze toiles rejoindront les salles espagnoles de l’Auckland Project à Bishop Auckland, au Royaume-Uni, avec lequel un partenariat a été établi.
LA COLLECTION DE PEINTURES REPRENDRA SA TOURNÉE INTERNATIONALE L’ANNÉE PROCHAINE, EN S’ARRÊTANT À TORONTO ET À LONDRES
L’Hispanic Society annoncera prochainement la création d’un atelier de restauration ultramoderne dans le bâtiment Est. Des programmes éducatifs plus riches et la création d’un groupe d’affinité soutenant la bibliothèque sont aussi en projet. Les négociations collectives avec le personnel, qui a voté en faveur d’une syndicalisation en juillet, débuteront cet automne. Enfin, les terrasses du musée doivent, quant à elles, être restaurées. L’agenda de Guillaume Kientz est donc bien chargé. Mais, « il fait une quantité incroyable de choses », témoigne Philippe de Montebello.