Rares sont les expositions capables de réunir d’immenses tableaux d’histoire, un daguerréotype de sang de grenouille et des photographies érotiques anonymes. Jusqu’en janvier 2022, c’est au musée d’Orsay que l’on peut trouver de telles associations, dans un grand panorama sur les origines du cinéma. Alors que les expositions sur l’émergence du 7e art se sont multipliées ces dernières années dans les musées, l’institution parisienne délaisse l’habituel catalogue des inventions techniques et formelles pour se concentrer sur les correspondances entre les arts et la production cinématographique de 1895 à 1907. « À l’origine de ce projet, il y a ce constat que la période couverte par le musée d’Orsay correspond à celle de l’apparition du cinéma », explique Dominique Païni, commissaire général de l’exposition. Le spécialiste, ancien directeur de la Cinémathèque française, s’est associé à deux conservateurs du musée d’Orsay, Marie Robert, chargée de la photographie et du cinéma, et Paul Perrin, chargé de la peinture, pour signer une exposition polyphonique, au parti pris « didactique et poétique ». En 315 œuvres – films, photographies, peintures ou objets d’art –, elle montre que l’œil cinématographique existait bien avant l’arrivée des salles de projections publiques.
Le parcours fait ainsi le portrait d’une société urbaine voyeuriste, coutumière d’expériences optiques en tout genre : diorama des fêtes foraines, stéréoscopes, phénakistiscopes, tableaux vivants et même exhibitions de cadavres à la morgue... De la série des Cathédrales de Monet aux danses serpentines électrisées de Loïe Fuller en passant par les images de la ville photographiée par Henri Rivière ou peinte par Gustave Caillebotte, les œuvres exposées reflètent cette fascination pour le mouvement, le spectacle des corps, les lumières et les ombres. Côté peinture, l’exposition ne se limite pas qu’aux avant-gardes, auxquelles le cinéma est le plus souvent associé, mais élargit le propos à la peinture académique. « Choisir le cinéma des premiers temps comme prisme permet de rebattre un peu les cartes, de ne pas s’en tenir à une histoire de l’art des grands noms, des mouvements et d’une chronologie connue qui mènerait inéluctablement à l’apparition de l’art moderne et de l’abstraction. Le parcours propose justement une déambulation dans l’histoire de la seconde moitié du siècle qui essaye de ne pas tomber dans ces habitudes pour proposer un regard nouveau », précise Paul Perrin.
Foisonnante et passionnante, l’exposition donne à voir une débauche d’images et d’objets qui est celle du cinéma des débuts. « Le cinéma des premiers temps est boulimique, impur, à la croisée de diverses techniques, de projections, d’animations, d’enregistrements des images, à l’intersection de champs artistiques, scientifiques et techniques, du spectacle savant et des loisirs populaires, explique Marie Robert. Cette exposition est l’expression de ce foisonnement. Elle nous parle aussi d’aujourd’hui, de cette pandémie qui nous a fait vivre le manque des salles de cinéma, et de l’importance de se rassembler dans un même lieu pour partager une expérience sensible. En ce sens, c'est une exposition éminemment politique. »
-
« Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907) », du 28 septembre 2021 au 16 janvier 2022, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’honneur, 75007 Paris,