Au milieu du mobilier caractéristique des espaces verts parisiens, un banc détonne : celui de Lilian Bourgeat, baptisé Double Banc. La raison ? D’abord, il est d’un rouge pompier, dans un univers où le vert profond est réglementaire; ensuite, il est surdimensionné – 2,5 fois plus grand qu’un banc standard –, si bien que le public, toujours en quête d’un cliché insolite, y accède en se faisant la courte échelle. Côté réseaux sociaux, l’objet, lui, se hissera à coup sûr sur le podium. On l’aura compris, le jeu avec la sculpture est, ici, légion. Avec Achronie 25, Marion Verboom hisse une splendide colonne bigarrée, façon carotte géologique, constituée de six matériaux différents – quartzite vert, pierre bleue du Hainaut, marbre d’Angola, pierre de Bugey, granite du Labrador et fonte d’aluminium –, contrepoint parfait aux sculptures classiques alentour.
D’aucuns s’amusent, eux, à délimiter l’espace autrement. Ainsi Norbert Kricke installe-t-il deux œuvres imposantes en inox, Raumplastik Grosse F, et néanmoins filiformes, tels des trombones (de bureau) géants désarticulés, qui dessinent de nouveaux cadrages avec le Louvre en arrière-plan. Non loin, Michael Kienzer installe sur une pelouse, en enfilade et en un équilibre fragile, quatre Falter, pièces faites de panneaux en tôle laquée dont le vide qu’elles contiennent, évoque peut-être quelques sculptures disparues. Dans un bassin, côté Louvre, Vincent Mauger a déposé huit blocs de polystyrène – Sans titre – qui évoluent à la surface de l’eau au gré du vent, dessinant un étonnant paysage mental.
LA SCULPTURE ANIMALIÈRE EST SENS DESSUS DESSOUS
La sculpture animalière traditionnelle, elle, est sens dessus dessous. Au pied du musée de l’Orangerie, Stefan Rinck propose, ainsi, deux totems monumentaux en calcaire – It Owl et Rabbiator –, mixant, avec humour, architectonique antique et culture populaire. Un animal est en vedette : la chouette. Chez Lionel Sabatté, réalisée en fers à béton et en ciment, elle prend l’aspect d’une Chouette Chevêche, dont la tête trône au sommet de l’armature et le corps se fait accueillant. Usant de la technique de la rocaille, Laurent Le Deunff, lui, pose trois « bustes » quasi vernaculaires – une Chouette des neiges, un Hibou grand-duc et une Chouette lapone – sur des socles en faux bois, mais vrai ciment, d’un gris-beige soyeux, le tout sous l’œil d’adeptes de Qi Gong en pleine activité.
Ne pas croire pour autant que « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », pour paraphraser Jean Yanne. Le malheur rôde. Non loin d’une sculpture d’Auguste Nicolas Cain – Tigre terrassant un crocodile –, Bettina Pousttchi, avec Vertical Highways, élève au rang d’œuvres d’art un brin anthropomorphes des glissières d’autoroute cabossées. En plein milieu de l’allée centrale, Jems Koko Bi dispose une œuvre puissante, sorte d’embarcation en chêne blond transportant vingt personnages longilignes sans visage, faits, eux, de bois calciné. Elle dit l’exil, toujours anonyme, des esclaves aux migrants. Son titre : Empty. Autre souffrance, celle que suggère la Chrysalide d’Abdul Rahman Katanani, suspendue bien haut dans un arbre. Il faut s’approcher au plus près pour comprendre que l’inquiétante douceur qui s’en dégage n’est pas produite par le matériau évanescent d’un insecte, mais par du… fil barbelé.
JEMS KOKO BI DISPOSE UNE ŒUVRE PUISSANTE
Au pied d’un petit théâtre, devant une pièce d’eau, Vincent Laval, lui, incite à communier avec la nature, déployant une œuvre intitulée Plus loin dans la forêt, assemblage de branches de châtaignier formant presque refuge… Autre asile salvateur : celui d’Augustas Serapinas, Standtune, splendide architecture en troncs de bouleau inspirée des clôtures typiques de l’île suédoise de Gotland. La plénitude tiendrait sans doute en cette saynète japonisante : une sculpture en bronze d’Elmar Trenkwalder, WVZ 122 S, plantée à l’ombre d’un pin de Corse, si ce personnage à l’allure ecclésiastique ne dissimulait pas dans les replis des vêtements quelques « fruits défendus »…
VINCENT LAVAL INCITE À COMMUNIER AVEC LA NATURE
Plantés comme à la parade, les six drapeaux de l’Allemand Markus Hansen – The Empathy Flags –, hybrides bariolés de réels emblèmes nationaux, claquent au vent à l’envi, faisant fi des signes identitaires et bousculant la rigueur et le symbolisme des deux pavillons tricolores juchés, non loin, sur l’Hôtel de la Marine et sur le Grand Palais. Pour peu, en quittant le jardin par la place de la Concorde et en tournant le regard par-delà l’obélisque, on croirait presque, le soleil jouant des tours, l’Arc de triomphe encore nimbé de son textile argenté. Évidemment, ce n’est que mirage…
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Tout le programme ici => Fiac hors les murs, jusqu'au 24 octobre 2021.