La Courtauld Gallery à Londres est un joyau secret : une collection d’art de renommée mondiale comprenant des chefs-d’œuvre de Cézanne, Van Gogh, Monet et Gauguin, abritée discrètement dans une aile de la Somerset House [les chefs-d’œuvre de la collection Courtauld ont été exposés à la Fondation Louis-Vuitton à Paris en 2019]. Ce bâtiment néoclassique du XVIIIe siècle comprend un dédale d’espaces conçus à l’origine pour abriter des bureaux du gouvernement et des sociétés spécialisées, dont la Royal Academy of Arts.
L’institution a rouvert ses portes au public le 19 novembre après la plus grande rénovation de son histoire, qui a coûté 57 millions de livres sterling (près de 68 millions d’euros) et a nécessité trois ans de fermeture (légèrement prolongée par la pandémie). Selon Ernst Vegelin van Claerbergen, directeur de la Courtauld Gallery, le «véritable défi» du projet mené par les architectes de l’agence Witherford Watson Mann a été d’intégrer au mieux la collection dans cette architecture historique. De nombreux changements « n’étaient pas en eux-mêmes nécessairement très radicaux, mais ajoutés les uns aux autres, ils ont transformé la perception du bâtiment et la capacité de la collection à y briller », dit-il.
LE « VÉRITABLE DÉFI » DU PROJET A ÉTÉ D’INTÉGRER AU MIEUX LA COLLECTION DANS CETTE ARCHITECTURE HISTORIQUE
Cette transformation « commence dès l’arrivée » avec une entrée remodelée qui, pour la première fois, permet un accès sans marche directement dans le hall d’entrée (auparavant, les personnes en fauteuil roulant devaient passer par une entrée située à l’arrière du bâtiment, « une façon très inadaptée d’accueillir les gens »). La billetterie a été déplacée dans l’ancienne salle consacrée au début de la Renaissance et au Moyen Âge. Un nouvel escalier menant au sous-sol aux espaces d’accueil agrandis pour les visiteurs remplace un « escalier de service, étroit et abrupt ». Avant le réaménagement, Ernst Vegelin van Claerbergen admet que « beaucoup de gens ne trouvaient jamais le chemin pour y descendre ».
À l’étage, un nouvel accrochage réunissant environ 300 œuvres a été réalisé en privilégiant la qualité et la variété plutôt que la quantité. « Nous étions conscients que ce projet n’avait pas pour but d’exposer davantage d’œuvres, explique le directeur. Nous voulions mieux présenter les choses et d’une manière beaucoup plus attrayante, afin de donner un aperçu plus riche de la collection ». Constituée dans un but pédagogique pour le Courtauld Institute of Art, la plus petite université du Royaume-Uni, la collection s’étend du début de la période médiévale au XXe siècle et repose sur un legs de Samuel Courtauld, ancien fabricant de textiles anglais d’origine française.
À L’ÉTAGE, UN NOUVEL ACCROCHAGE RÉUNISSANT ENVIRON 300 ŒUVRES A ÉTÉ RÉALISÉ EN PRIVILÉGIANT LA QUALITÉ ET LA VARIÉTÉ PLUTÔT QUE LA QUANTITÉ
« Le défi que nous nous sommes fixé pour ce projet était de provoquer le plaisir, l’inspiration et la curiosité, explique Ernst Vegelin van Claerbergen. Chaque recoin réserve quelque chose de stimulant et d’intriguant à découvrir. » Les tableaux célèbres, désormais libérés de leurs cimaises à tiges démodées, sont confrontés à une sélection pertinente de pièces issues des collections d’arts décoratifs et à de petits accrochages thématiques, à l’exemple de ces esquisses à l’huile de Rubens montrant son processus créatif.
Le parcours largement chronologique mène de la galerie médiévale et du début de la Renaissance, au premier étage, aux Blavatnik Fine Rooms, six salles au deuxième étage, un ensemble « sensationnel » d’œuvres de la Renaissance, avec en son cœur un retable de Botticelli récemment restauré. Un espace de projet au même niveau « offrira au public un aperçu » des activités de recherche de l’Institut Courtauld, que ce soient les initiatives futures des étudiants, des membres de la faculté ou du département de la conservation. Autre nouveauté, la galerie du troisième étage est désormais consacrée au groupe de Bloomsbury, présentant des documents importants, qui pour la plupart ont été largement prêtés mais qui ont rarement été exposés dans ce bâtiment.
« L’ACMÉ DE L’EXPÉRIENCE DU VISITEUR » EST LA LVMH GREAT ROOM, RESTAURÉE DANS SES PROPORTIONS ORIGINELLES
« L’acmé de l’expérience du visiteur », selon Ernst Vegelin van Claerbergen, est la LVMH Great Room, au dernier étage, qui a été restaurée dans ses proportions originelles. Le lieu fut le premier espace d’art construit à cet effet à Londres, où se tenaient les expositions d’été de la Royal Academy jusqu’en 1837. La suppression des anciennes cloisons et des faux plafonds a apporté « lumière et volume naturels ». Ici, les célèbres tableaux impressionnistes et postimpressionnistes de Samuel Courtauld ont été réinstallés et sont « plus beaux que jamais, déclare le directeur. Maintenant, dans cet espace magnifique, je pense que les gens vont en retomber amoureux. »
Après la LVMH Great Room, les salles d’exposition temporaire ont également été repensées. Aménagées dans d’anciens espaces techniques, elles continueront à accueillir des « expositions pointues de haute qualité » dont la Courtauld Gallery s’est fait une spécialité, à commencer par 25 dessins modernes et d’après-guerre récemment offerts par l’artiste Linda Karshan. Suivra en février 2022 une exposition d’autoportraits de Vincent van Gogh, incluant celui du Courtauld, dans lequel le peintre apparaît avec une oreille bandée, et réunissant également des toiles célèbres provenant du monde entier. La programmation sera conçue suivant la même logique que celle qui a présidé à l’accrochage de la collection permanente, explique Ernst Vegelin van Claerbergen : « Il n’est pas question de miser sur la taille mais de regarder de près et d’apprécier les détails. »
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The Courtauld Gallery, Somerset House, Strand, Londres.