Invitée par les Rencontres de la photographie d’Arles l’été dernier, elle avait régalé lors d’un échange suivi d’une signature de ses livres, à l’ouverture du festival, un public autant conquis par son franc-parler qu’admiratif d’une carrière exceptionnelle, au cours de laquelle la photographe a produit certaines des images iconiques du XXe siècle. Avec la disparition de Sabine Weiss à l’âge de 97 ans, le 28 décembre 2021, à son domicile parisien, s’éteint la dernière figure de l’école française humaniste. L’hommage des Rencontres permettait de mesurer l’ampleur et la diversité de son œuvre, illustrées au sein de l’exposition de la chapelle des Jésuites du Museon Arlaten – Musée de Provence, où ses images en noir et blanc sensibles et documentaires du Paris des années 1950 côtoyaient reportages dans le monde entier, commandes pour la mode ou la publicité qui l’ont longtemps fait vivre, parallèlement à son œuvre personnelle, « des photos prises pour moi, à la sauvette », disait-elle.
L’objectif de Sabine Weiss, qui intégra l’agence Rapho à l’invitation de Robert Doisneau, a immortalisé les petites gens comme les grands de ce monde, accédant d’abord à la reconnaissance aux États-Unis en publiant dans les plus grands magazines, Life ou Time Magazine. Alberto Giacometti dans son atelier, Françoise Sagan, Brigitte Bardot, Niki de Saint Phalle, enfants « morveux » des rues parisiennes… De ses portraits émanent un même humanisme, une proximité, une empathie avec son sujet. Son œil était vif, soucieux de rendre au plus près la réalité, attaché aussi à saisir ce qu’elle appelait des « atmosphères ». Son tempérament était bien trempé – il en fallait pour s’imposer à une époque où la photographie restait un métier d’hommes. Jusqu’à ces derniers mois, Sabine Weiss avait conservé le verbe alerte, plein d’humour ; et plus que tout, une sage distance face au succès. Comme dans ses images, simples en apparence mais d’une impressionnante maîtrise technique, elle faisait montre de la modestie des plus grands. Interrogée sur son approche de la photographie, elle se décrivait volontiers comme artisan plutôt qu’artiste, presque étonnée d'être aujourd'hui considérée comme une légende, ayant écrit, avec quelques autres, l’une des pages les plus illustres de l'histoire du médium. En 1955, Edward Steichen avait choisi plusieurs de ses photographies pour l’exposition « The Family of Man » au Museum of Modern Art de New York. Sabine Weiss a reçu le prix Women in Motion pour la photographie 2020, décerné par Kering et les Rencontres d’Arles pour l’ensemble de sa carrière.
« À côté de ses pairs, Robert Doisneau et Willy Ronis, Sabine Weiss a forgé l’image de la ville humaniste des années 1950, a déclaré Florian Ebner, directeur du cabinet de la photographie au Musée national d’art moderne, Centre Pompidou. L’artiste a photographié la solitude existentielle et la mélancolie douce dans les rues, les jeux d’enfants, dans les nouveaux grands ensembles et, en studio, le chic renaissant de la mode. Avec la disparition de Sabine Weiss, nous perdons le dernier témoin de cet âge d’or de la photographie parisienne. Mais nous gardons dans nos collections des tirages d’époque, des images de Paris, New York et Moscou, qui témoigneront toujours de son regard bienveillant sur le monde ». L’institution, qui conserve plus d’une centaine d’œuvres de l’artiste, lui avait consacré l’exposition « Les villes, la rue, l’autre » (du 20 juin au 15 octobre 2018) dans sa Galerie de photographies, sous le commissariat de Karolina Ziebinska-Lewandowska.
« De ses reportages sur l’Espagne et le Portugal des années 1950 aux portraits de célébrités du monde de la culture, c’est toute une époque que sa photographie généreuse et solaire a su immortaliser », a salué la ministre de la Culture Roselyne Bachelot-Narquin.