Toulouse et sa région recèlent décidément bien des trésors. Après les précieux sceaux et rouleaux impériaux chinois qu’y s’y sont envolés aux enchères ces dernières années, après les deux tableaux de Jacob Jordaens trouvés sur place et vendus l’automne dernier chez Christie’s à New York, sans parler de la peinture attribuée au Caravage et vendue de gré à gré en 2019 à l’Américain James Tomilson Hill, la cité rose fait à nouveau parler d’elle. Le 4 février, un panneau peint par Bernhard Strigel (1460 - 1528) y passera sous le marteau. Estimée entre 600 000 et 800 000 euros, cette redécouverte est un joli coup pour la jeune maison de ventes Artpaugée.
En recevant la photo de la peinture, Philippine Motais de Narbonne, qui a rejoint voici près d’un an le cabinet d’expertise parisien Turquin, a vite senti qu’elle tenait là « un chef-d’œuvre », confietelle. Quand l’œuvre est arrivée à Paris, elle était aux anges : « le tableau était magnifique et dans un état miraculeux », poursuit-elle. Très vite aussi, elle fait le rapprochement avec un autre panneau de la même main, vendu à Drouot par la société Jean Marc Delvaux en avril 2008 pour 1 million d’euros. L’année suivante, via un intermédiaire, le Louvre Abu Dhabi rachetait la peinture pour une somme qu’on imagine plus importante. Le panneau du Louvre Abu Dhabi représente L’Ange à l’encensoir – de rouge vêtu. L’entrée du tableau dans les collections du musée émirati avait fait ressortir de l’ombre Bernhard Strigel qui, selon Philippine Motais de Narbonne, n’a jusqu’ici jamais bénéficié d’une vraie exposition, mais seulement d’un ouvrage publié dans les années 1960 – après qu’en 1881 un historien de l’art allemand a rédigé une étude sur un corpus d’œuvres de l’artiste.
« LE TABLEAU ÉTAIT MAGNIFIQUE ET DANS UN ÉTAT MIRACULEUX »
De mêmes dimensions, doté d’une composition proche, mais plus fin de silhouette, l’Ange de Toulouse est vêtu d’une tunique jaune et le montre tenant un encensoir, un pied nu apparent. Il s’agirait de deux panneaux d’un même ensemble, un retable de Notre-Dame de Memmingen, à Allgäu, en Bavière. « Nous avons eu le luxe de pouvoir mettre un nom sur l’auteur, mais aussi de trouver un frère à l’œuvre », explique l’experte.
Comment ce bijou de la Renaissance encore marqué par le gothique germanique et l’influence de Dürer ou celle d’Albrecht Altdorfer – auquel le Louvre a dédié une exposition en 2020-2021 – s’est-il retrouvé de la Bavière à l’Occitanie ? Si son parcours reste à retracer, la spécialiste pense que la peinture, réalisée vers 1521, en pleine Réforme, a quitté son cadre originel quand le retable a été démantelé, passant ensuite de particulier en particulier. Il serait peut-être entré en France en passant par l’Alsace. Sa présence est attestée dans l’Hexagone au début du XIXe siècle dans les collections Dubois et Saint-Morys. De cette dernière lignée, le père collectionnait les dessins, le fils, la Haute Époque – les objets de leurs passions se trouvent aujourd’hui au Louvre ou au musée de Cluny. En 1845, un certain Berthon qui a fait faillite, voit ses biens vendus aux enchères, dont L’Ange fait partie. Depuis, mystère. Jusqu’à sa réapparition à Toulouse.
« C’EST UNIQUE DE POUVOIR RÉUNIR LA PAIRE »
« C’est unique de pouvoir réunir la paire », s’enthousiasme Philippine Motais de Narbonne. Le Louvre Abu Dhabi va-t-il se manifester ? Réponse le 4 février.