L’artiste américaine met en lumière la « pure folie meurtrière » présente dans l’œuvre de son aînée dans une exposition qui réunit des pièces textuelles de l’artiste franco-américaine.
Par une coïncidence due à la pandémie de Covid-19, l’année 2022 sera particulièrement riche pour Louise Bourgeois, l’artiste franco-new-yorkaise décédée il y a un peu plus de dix ans, à près de 100 ans. Alors qu’une exposition à la Hayward Gallery à Londres, consacrée aux œuvres en tissu réalisées au cours des deux dernières décennies de sa vie, s’est ouverte le 9 février, suscitant une série de critiques élogieuses, une autre, cette fois exclusivement consacrée à ses peintures, sera présentée au Metropolitan Museum of Art à New York à partir du 12 avril. Entre les deux, le Kunstmuseum de Bâle, en Suisse, inaugure ce week-end une exposition ambitieuse, pour laquelle l’artiste américaine Jenny Holzer a sélectionné des œuvres dans les immenses archives de Louise Bourgeois, pour proposer une interprétation unique de son travail.
Jenny Holzer, connue pour son utilisation militante du texte et pour la présentation fréquente de ses œuvres dans l’espace public – affiches, écrans publicitaires et, plus récemment, inscriptions sur des flancs de camions – a, sans surprise, choisi de se pencher sur les écrits et l’utilisation graphique des mots par Louise Bourgeois. Les deux femmes se connaissaient, et Jenny Holzer explique que son objectif, tout au long des trois années de gestation de ce projet, a été de mettre en lumière « la quantité et la qualité, la tendresse, l’agitation et le caractère purement meurtrier » de la vaste production de Bourgeois.
Plus de 250 œuvres sont réparties dans neuf salles de l’extension récente du musée, le Neubau. Jenny Holzer, grâce à son statut d’artiste se penchant sur l’œuvre d’une consœur, a pu prendre davantage de libertés que le conservateur classique. « J’aime l’art de l’installation, explique-t-elle à The Art Newspaper. Et je voulais que certaines parties de l’exposition soient comme une version formalisée de la visite de sa maison, où elle était entourée de tissus, d’objets et d’œuvres d’art en cours. »
Si certaines salles offrent des moments de calme, d’autres expriment clairement la vision de Jenny Holzer. Dans l’une d’elles, un mur entier est tapissé de fac-similés (parfaitement exécutés) de feuilles volantes couvertes de la belle écriture de Louise Bourgeois. Il s’agit de ses réponses obsessionnelles à la psychanalyse qu’elle a commencée en 1951 après la mort de son père. Une autre salle présente de petits dessins encadrés et des œuvres en tissu disposés en forme d’œil : c’est à la fois un commentaire sur l’intérêt de Bourgeois pour l’importance sexuelle du regard et une reconnaissance des possibles influences surréalistes dans son travail. La dernière salle est une explosion de rouge sang dans des cercles concentriques tourbillonnants peints à la gouache, et des représentations crues de l’accouchement et des organes féminins. Entre les deux, une œuvre de Louise Bourgeois, issue de la collection de Jenny Holzer, représentant des organes génitaux masculins gonflés dessinés au dos d’une enveloppe de la Maison Blanche, occupe une place de choix, preuve si besoin était de l’ironie piquante de Louise Bourgeois.
Il est évident que Jenny Holzer n’a jamais caché son amour pour la technologie. L’une des principales installations de l’artiste franco-américaine, The Destruction of the Father (La destruction du père), un diorama constitué d’abcès en latex surdimensionnés plongés dans une lumière rougeoyante, peut être appréhendée au travers d’une application de réalité augmentée développée par Holzer. Les visiteurs peuvent ainsi utiliser leur téléphone pour assister à sa déconstruction accompagnée d’une bande sonore dans laquelle Louise Bourgeois chante une comptine pour enfants. L’objectif de l’artiste est ici de faire découvrir l’œuvre de son aînée à de nouveaux publics.
Un imposant catalogue accompagne l’exposition, intitulé The Violence of Handwriting Across a Page et constitue une œuvre d’art à part entière. Il a permis à Jenny Holzer de former des dialogues entre les œuvres de Louise Bourgeois et celles des collections historiques du musée. Certains textes de l’artiste y sont reproduits et montrent que Jenny Holzer est aussi fascinée par le sexe et la mort que l’était Louise Bourgeois. En outre, Jenny Holzer a installé quatre œuvres de Louise Bourgeois dans les salles des maîtres anciens du bâtiment historique du Kunstmuseum, que le visiteur peut rejoindre grâce à un passage souterrain. En juxtaposant Cumul 1 (1969), une sculpture onctueuse présentant des protubérances en marbre blanc, et une peinture du XVIe siècle montrant Thisbé prête à assassiner Pyrame par Niklaus Manuel Deutsch, l’artiste fait même preuve d’un certain culot.
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« Louise Bourgeois × Jenny Holzer. The Violence of Handwriting Across a Page », du 19 février au 15 mai 2022, Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 8, Bâle, Suisse.