Imaginée par les deux graphistes, l’exposition « Confluences » est singulière pour deux raisons : le contenant et le contenu. D’une part, elle prend place non pas à l’intérieur à proprement parler du bâtiment, mais dans un espace entre-deux situé en périmètre de l’aile neuve, les galeries transparentes, visibles depuis l’extérieur. D’autre part, elle met pour la première fois en lumière ces deux créateurs qui, il y a cinq ans, pour la réouverture de ce lieu reconfiguré par l’agence portugaise Aires Mateus, ont forgé sa nouvelle identité visuelle.
Si leur travail, qui accompagne depuis lors en continu l’institution tourangelle, n’est pas immédiatement identifiable par le public, il reste un vecteur essentiel de communication. À commencer par la typographie qui, fait rare, a été conçue dans le cadre du « 1% artistique ». En témoigne le nom du lieu, inscrit sur la façade d’entrée. « Nous avons regardé toute la production des architectes Manuel et Francisco Aires Mateus et beaucoup apprécié leur travail sur le plein et le vide, les “déplacements” de matière au sein d’un même volume pour générer un bâtiment, raconte André Baldinger. Cela nous a inspiré l’idée de faire “coulisser” un fragment des lettres. Aussi avons-nous choisi une famille de caractères à empattements épais (les extrémités des lettres, NDLR), afin d’avoir de la “matière” à retirer. Le fait de pouvoir “déplacer” un “espace d’encre” nous a permis d’anticiper un phénomène inhérent à l’impression, le “piège à encre”, une accumulation d’encre non voulue, et de conférer sa qualité et son caractère à cette typographie ». « Il ne s’agissait pas de dessiner un simple logo, mais de concevoir un système qui puisse évoluer dans le temps et en fonction des contenus qu’il devrait véhiculer, ajoute Toan Vu-Huu. C’est important une typographie, car c’est un porte-parole ! »
La présentation que le duo propose aujourd’hui est, en quelque sorte, également un porte-parole : celui de leur processus de création. « Dans une exposition, les graphistes montrent, en général, des travaux achevés, souligne Ton Vu-Huu.
Nous avons, au contraire, pris le parti de créer pour l’occasion, d’expérimenter une nouvelle fois des formes produites auparavant ». Un choix judicieux qui donne toute sa puissance à cette fournée, laquelle a fait l’objet d’un protocole réglé au cordeau – on peut faire confiance à ces professionnels de culture calviniste. Ainsi, avec son univers visuel personnel, ses propres chimères ou obsessions, chacun a élaboré six propositions. André Baldinger s’est notamment emparé de la photographie d’une tête en pierre qu’il a lui-même sculptée, ou de mots. Toan Vu-Huu, lui, a usé d’une recherche pictographique sur le thème de l’œil, ainsi que d’une « figure qui marche ». Les deux compères n’ont découvert leur travail respectif qu’une fois chez l’imprimeur, où ils se sont aussitôt prêtés au jeu de la juxtaposition avec, au programme, surimpressions, télescopages inopinés et joie de l’improvisation. « Même si nous pensons avoir une bonne méthodologie, et être aussi rigoureux que peuvent l’être un Suisse et un Allemand, ce n’est pas toujours aussi carré qu’on le croit, il peut y avoir des accidents… », dit Toan Vu-Huu. « Au final, cela s’est transformé en un exercice Free Style, tels des DJ qui modifient leur set musical à l’instant T », renchérit André Baldinger. Résultat : moult surprises, et près de 150 variations.
« NOUS AVONS PRIS LE PARTI DE CRÉER POUR L’OCCASION, D’EXPÉRIMENTER UNE NOUVELLE FOIS DES FORMES PRODUITES AUPARAVANT »
« Lorsqu’on regarde la production de notre atelier, il y a, certes, un fil conducteur, une cohérence. Néanmoins, nous avons chacun notre personnalité. Nous sommes comme deux fleuves qui se rencontrent pour n’en former qu’un seul », observe Toan Vu-Huu.
C’est précisément ainsi que « s’écoule » physiquement la scénographie, dans ces galeries transparentes du CCCOD. En tout, 36 affiches grand format (1,76×1,2 m). Toan Vu-Huu a accroché ses six propositions à l’extrémité de la galerie Sud et André Baldinger, les siennes, complètement à l’opposé, côté Nord. Dans les six affiches qui suivent, des croisements entre ces deux productions distinctes commencent à se faire jour, par touches subtiles. Plaqués à même la vitre, des signes ésotériques telles des équations chimiques – du type b2-vh3-b5 – livrent, en réalité, la « recette » de fabrication desdites affiches. Au fur et à mesure, on aboutit, dans la galerie Ouest, à une hybridation complète, une fusion totale des « deux fleuves ».
RÉALISÉ PAR L’IMPRIMERIE LÉZARD GRAPHIQUE, LE TRAVAIL DE SÉRIGRAPHIE EST DE HAUTE VOLÉE
Réalisé par l’imprimerie Lézard Graphique, institution alsacienne ô combien réputée, pourvoyeuse d’une myriade d’institutions culturelles, sinon directement d’artistes, le travail de sérigraphie est de haute volée. Baldinger et Vu-Huu se sont aperçus, après-coup, qu’ils avaient tous deux esquissé un « nuage », ou presque… « La question du doute, peut-être ? », avance le premier. « Sans nuage, pas de vision claire ensuite », répond le second. Belle métaphore, en tout cas, dudit processus de création.
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André Baldinger et Toan Vu-Huu, « Confluences » (en deux temps), accrochage actuel jusqu’à début juin 2022, puis second accrochage entièrement renouvelé jusqu’au 18 septembre 2022, Centre de création contemporaine Olivier Debré, jardin François 1er, 37000 Tours.