Pour le week-end d’ouverture, plus de 30 000 visiteurs ont découvert à Lausanne le site de Plateforme 10, qui réunit trois institutions – le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (mudac), le Musée cantonal pour la photographie (Photo Elysée) et le Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA). Le « quartier des arts », qui s’étend sur plus de 25 000 m2, voit enfin le jour, tandis qu’un autre chantier autour de la gare débute et se poursuivra jusqu’en 2032, redéfinissant les contours de la ville. À terme, un troisième bâtiment dédié à des résidences d’artistes sera intégré à cet ambitieux dispositif muséal qui a déjà coûté près de 200 millions d’euros.
L’emplacement névralgique du site constitue son principal atout. Situé en plein cœur de Lausanne, sur une ancienne zone ferroviaire et industrielle, il s’inscrit dans la continuité de la gare, bénéficiant d’un accès direct depuis la voie 1. « Il y a quotidiennement de très nombreuses liaisons avec Paris, Milan, Venise, Bâle, Cologne... La grande majorité du public arrivera par le train et nous pensons passer de 100 000 à 200 000 passagers par jour », explique Patrick Gyger. Transfuge du Lieu unique à Nantes, le directeur de Plateforme 10 a pour ambition de questionner les enjeux des musées de demain. « Avec les contraintes climatiques, peut-on encore faire venir les œuvres de partout ? Faut-il faire des musées des lieux touristiques attirant des gens du monde entier ? Comment inclure dans le musée des communautés diverses ? », s’interroge-t-il. Parviendra-t-il à insuffler à ce projet helvète l’énergie et l’esprit nouveau nécessaires ?
L’arrivée sur les lieux laisse dubitatif. Fruit d’un projet conçu il y a quinze ans, quand les enjeux environnementaux et citoyens n’étaient pas les mêmes, le site semble déjà relever d’un autre âge. L’esplanade entièrement cimentée réverbère une chaleur d’enfer, si bien qu’il a été décidé de planter au plus vite des arbres. Les deux bâtiments – celui en briques claires du MCBA, signé par l’agence espagnole Barozzi Veiga, et celui réunissant les deux autres musées, en béton immaculé, conçu par le tandem portugais Aires Mateus –, constituent de réelles prouesses architecturales mais offre l’apparence de mégalithes minéraux et opaques, même si l’un est greffé de quelques baies vitrées et l’autre audacieusement percé d’une entaille sur toute l’horizontale. Ces lieux clos sur eux-mêmes comme des forteresses, bénéficiant au demeurant d’excellents pedigrees énergétiques, envoient-ils le bon message aux visiteurs ? « Nous allons organiser beaucoup d’activités sur l’esplanade – concerts, spectacles, projections, nuit de la photo en juin, et même un marché. Avec les quatre cafés-restaurants sur le site, ce quartier vivra bien au-delà des horaires des musées et touchera tous les publics », plaide Patrick Gyger.
Les espaces intérieurs, heureusement, sont baignés de lumière naturelle, avec, pour les deux édifices, de spectaculaires ouvertures sur une mer de rails. Le musée de la photographie, logé au sous-sol, assujetti à des contraintes de luminosité, peine à convaincre : l’immense plateau de 1 500 m2, éclairé indirectement par un patio excavé, est morcelé par des cloisons mobiles posées sur roulettes, digne des valeureuses maisons de la culture mais pas d’une telle institution. Quant aux trois expositions inaugurales, elles sont toutes trois dédiées à l’iconographie du train et de la gare. Certes, on comprend le désir de rendre hommage à l’ancien site ferroviaire et de concevoir pour l’ouverture des accrochages grand public, mais fallait-il que les trois institutions choisissent ce même thème ?
La proposition du musée du design, fondée sur le thème des départs, retrouvailles et rencontres furtives dans le roman de gare, apparaissait a priori comme une idée originale. Mais, elle donne lieu à une exposition appliquée et par trop statique, même si les œuvres grand format et hautement « Instagrammables » de Takis, Chris Burden ou Yin Xiuzhen sont à souligner. L’exposition de Photo Elysée, qui confronte le film, la photographie, la vidéo et la peinture, s’avère intéressante, mais trop touffue. Forte de près de 350 pièces, elle est encombrée d’œuvres redondantes.
Le parcours du MCBA sur l’imaginaire du train est celui qui « transporte » le plus, jouant sur les fantasmes ou l’érotisme suscités par le voyage en train, le vertige de la vitesse, les rêves de gare, avec à l’appui des œuvres de premier plan de De Chirico, Severini, Méliès, Hopper, Kounellis... L’avenir dira si la future programmation sera plus défricheuse, sachant qu’à l’orée 2023, les trois directeurs actuels de ces musées auront changé : Nathalie Herschdorfer vient de replacer Tatyana Franck à Photo Elysée ; Juri Steiner va prendre dès le 1er juillet la suite de Bernard Fibicher au MCBA ; tandis que Chantal Prod’Hom, qui dirige le mudac, prendra sa retraite à la fin de l’année.
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« Train Zug Treno Tren », juqu’au 25 septembre 2022, Plateforme 10, Lausanne, Suisse.