Droit à l'avortement : le monde de l'art réagit à la décision de la Cour suprême des États-Unis

Le vendredi 25 juin, la Cour suprême des États-Unis a rendu un jugement attendu, annulant la décision historique Roe v. Wade qui garantissait le droit constitutionnel à l’avortement depuis 49 ans. Des millions de personnes sont intervenues sur les réseaux sociaux pour exprimer leur indignation, leurs frustrations et leurs craintes. Cette décision, annoncée par une fuite historique, le mois dernier, d’un document précisant le choix du juge Samuel Alito, aura pour conséquence de priver des millions de personnes de l’accès aux soins gynécologiques, notamment aux tests de dépistage des MST, aux contraceptifs et à l’avortement. De nombreux États ont mis en place des lois qui entreront en vigueur immédiatement ou dans les semaines à venir pour fermer les cliniques spécialisées dans l’avortement et criminaliser la procédure.

De nombreux acteurs du monde de l’art ont rapidement réagi avec colère et indignation. La galerie new-yorkaise Sargent’s Daughters s’est montrée très active en publiant des informations sur le droit à l’avortement. Le mois dernier, elle a même organisé une vente aux enchères en ligne, Daughter’s Defiant, qui a permis de récolter 15 000 dollars, reversés à plusieurs organisations locales en faveur de l’avortement, dont Keep Our Clinics et WRRAP.

« Il n’y a nulle part dans le monde où la réglementation sur le choix d’enfanter ou non a été prise au bénéfice des femmes. Que ce soit la Roumanie qui supprime l’accès à l’avortement ou au contrôle des naissances, ou la Chine qui insiste pour que les gens n’aient qu’un seul enfant, il n’y a jamais eu d’endroit où cela a permis d’améliorer la situation des femmes. C’est toujours pire », a déclaré Allegra LaViola, propriétaire et directrice de Sargent’s Daughters.

Cette dernière estime que ce sont les habitants du centre et du sud des États-Unis qui souffriront le plus de cette décision. « Comment aider les personnes qui ont besoin d’un accès aux soins et qui sont celles qui ont le moins de ressources, le moins d’endroits où aller et le moins d’argent, à obtenir des informations pour les aider à sortir de leur État et à se rendre dans un autre si elles en ont besoin ? », dit-elle.

« Cette décision de la Cour suprême constitue un précédent radical pour porter atteinte à d’autres droits civils considérés jusqu’alors comme des lois – en particulier ceux liés à la contraception et aux droits LGBTQ », déclare Theo Mauritz, directeur et propriétaire de M23, une autre galerie du Lower East Side à New York, qui a toujours soutenu des causes liées à la justice sociale. « Nous voterons et défendrons les candidats qui soutiennent le droit à l’avortement, ainsi que l’environnement, le contrôle des armes à feu, les droits LGBTQIA+ et le droit de vote pour tous les Américains. En tant que galerie, nous continuons à défendre la pratique des artistes réagissant à des sujets de société, et à partager notre vision du monde », poursuit-il.

L’artiste et activiste Marilyn Minter, qui a été très claire concernant ses opinions politiques, a également réagi à la décision de la Cour suprême. « J’ai du mal à croire que je vis maintenant dans un monde où les jeunes femmes ont moins de droits que moi, dit-elle. Républicains, nous vous verrons en novembre ».

L’artiste conceptuelle Jenny Holzer, qui réalise depuis des années des œuvres sur le contrôle des naissances et les questions de genre, a lancé une vente aux enchères NFT (jeton non fongible) sur Foundation. Son NFT présente un tweet de 2021 de Gillian Branstetter, collaboratrice de l’American Civil Liberties Union, faisant une comparaison entre un extrait de l’émission de Fox News Tucker Carlson Tonight et la série Truisms de l’artiste. Le texte de l’image tirée du programme télévisé se lit comme suit : « Faire un choix éclairé concernant son propre corps ne devrait pas être controversé ».

La A.I.R. Gallery, clairement féministe, a envoyé une newsletter après le jugement, déclarant : « Nous plaidons pour un système de santé sûr et accessible en matière d’avortement, ce qui signifie un accès libre et facile aux professionnels de santé et aux soins partout dans le monde ». L’envoi contenait une liste de plus de vingt organisations et groupes de santé reproductive auxquels il est possible de faire des dons, dont Black Feminists Fighting Abortion Bans and Advancing Reproductive Justice, Women’s Medical Fund, Rise Up 4 Abortion Rights, etc.

De grandes galeries, dont beaucoup n’avaient pas réagi après la fuite du mois dernier, semblent avoir changé de position. David Zwirner a publié une déclaration accompagnée d’une image de l’artiste Barbara Kruger sur Instagram présentant une pièce qu’elle a créée pour la section « opinion » du New York Times le mois dernier. « L’annulation de l’arrêt Roe vs Wade est le résultat d’une campagne acharnée des Républicains pour restreindre les droits reproductifs et contrôler le corps des femmes, a déclaré Barbara Kruger dans un communiqué. Beaucoup de Démocrates ont été incapables de répondre avec force, et ce n’est que récemment que la gauche a commencé à comprendre que les contestations autour du genre, de la race et de la classe doivent être menées simultanément et non séparées en fonction d’une hiérarchie rigide des préoccupations. Ce manque de rhétorique convaincante et l’incapacité à voter et à penser de façon stratégique ont tragiquement conduit à la composition actuelle de la Cour suprême ».

Alors que beaucoup sont encore en train de comprendre la portée de cet arrêt et ses implications, Allegra LaViola souligne la nécessité plus que jamais de s’organiser et d’agir. « Beaucoup de ces cliniques sur le terrain n’ont pas le même mégaphone que [le spécialiste du planning familial] Planned Parenthood, dit-elle. Elles ont besoin d’aide et de soutien, d’actions immédiates et de dons pour aider les cliniques dans les endroits où les triggers laws [lois pensées pour entrer en vigueur rapidement après la décision de la Cour suprême] ont été adoptées ».