Le collectionneur a consenti une importante donation à la Ville, qui expose en avant-première cet été une sélection d’œuvres, de Frédéric Bruly Bouabré à Seydou Keïta.
C’est finalement à Cannes que va s’ancrer la collection de Jean Pigozzi. Hier soir, le maire de la Ville, David Lisnard, a annoncé la création d’un musée dévolu à ses œuvres d’art contemporain africain, un ensemble considéré comme le plus important au monde en mains privées. Depuis longtemps, l’héritier de la marque Simca, également photographe, cherchait un lieu. Berlin était trop éloigné de ses affinités. Longuement envisagé, notamment avec un projet de Renzo Piano, mais finalement abandonné, Monaco « où chaque mètre carré compte, était trop compliqué », confie le collectionneur. Alors quand David Lisnard a proposé un lieu, il a dit « oui ». Tout près du cap d’Antibes où il possède une maison de famille, Cannes est aussi « une ville où passent trois millions d’étrangers chaque année, sans parler des nombreux événements qu’elle accueille, souligne Jean Pigozzi. Il y a aussi pratiquement le même fuseau horaire qu’en Afrique, ce qui permettra d’organiser des concerts en Live depuis là-bas. Mon but est de faire rayonner la culture africaine dans le monde, et aussi de créer un musée vivant ».
" Mon but est de faire rayonner la culture africaine dans le monde, et aussi de créer un musée vivant"
Celui-ci prendra place dans les anciens locaux de la chapelle Saint-Roch, désacralisée en 2021, au cœur du Suquet, la vieille ville de Cannes, la municipalité apportant le lieu. Une exposition permanente, dont l’accrochage sera renouvelé chaque année, occupera 380 m2, tandis qu’un parcours temporaire de 240 m2 proposera des focus ou des thématiques. Enfin, quelque 100 m2 seront dédiés à des conférences et au programme éducatif et culturel. Plusieurs années de travaux seront nécessaires pour mener à bien le chantier. Pour l’heure, Jean Pigozzi a consenti une donation de « plus de 1 000 œuvres », précise-t-il, sur une collection qui en totalise plus de 10 000 réunies en une trentaine d’années. On y retrouvera des artistes tels que Chéri Samba, dont il possède un énorme ensemble, Frédéric Bruly Bouabré, Bodys Isek Kingelez, Seydou Keïta, ou encore, entre autres, Romuald Hazoumè. Cette étape majeure pour la visibilité de l’art africain contemporain n’empêchera pas le collectionneur de poursuivre sa politique très active d’expositions dans le monde – plus de 270 en trente ans, dont « Seydou Keïta » au Grand Palais à Paris en 2016, « Art/Afrique, le nouvel atelier » en 2017 à la Fondation Louis-Vuitton, toujours à Paris, ou encore « Frédéric Bruly Bouabré » actuellement présenté au MoMA à New York. Laquelle institution a reçu un don de 45 œuvres en 2019 de la part de Jean Pigozzi. « Ce que je donne à la Ville de Cannes pourra être prêté ailleurs pour des expositions, et je serai le directeur artistique du musée pour cinq ans », explique-t-il.
En attendant que ce dernier ne prenne forme, Cannes, qui organise en 2022 une année culturelle avec le Sénégal, accueille dans l’ancienne gare maritime, face à l’Afrique, sur l’autre rive de la Méditerranée, une centaine d’œuvres de la collection signées de 27 artistes. Une « bande-annonce » – un titre en clin d’œil à la cité du festival – du futur musée. Les co-commissaires, Élisabeth Whitelaw, conservatrice de la collection, et le curateur Jérôme Neutres, ont opté pour des gros caissons en contreplaqué qui donnent au visiteur l’impression d’arpenter le stockage du collectionneur, et mettent en avant chaque œuvre individuellement. Chéri Samba, que dont Jean Pigozzi achète les œuvres depuis 1989 après le choc d’avoir découvert l’exposition « Magiciens de la Terre » au Centre Pompidou, accueille les arrivants, au côté d’une petite voiture décapotable – propriété du collectionneur – peinte par la doyenne Esther Mahlangu. Parmi les plus jeunes, figurent JP Mika ou Prince Gyasi. Le parcours comprend plusieurs pièces jamais ou très peu montrées, parfois acquises ces deux dernières années. Tels le navire-maquette Prince des océans de Bodys Isek Kingelez ou un grand format d’Emmanuel Ekefrey. Photos, sculptures, vidéos et peintures alternent. À de rares exceptions près, plus politiques, ce florilège de la collection reflète une vision de l’Afrique délibérément jeune, joyeuse, festive, innovante, dansante et parfois un zeste provocatrice. Un portrait plus ou moins explicite de Jean Pigozzi ?
« Bande-annonce, la collection de Jean Pigozzi à Cannes », jusqu’au 21 août, Gare Maritime, Promenade Pantiéro, 06150 Cannes.