À Marseille, Art-o-rama a atteint sa vitesse de croisière. À l’instar de ses visiteurs et de son environnement, la Belle de Mai, une ancienne friche industrielle devenue pépinière branchée jouxtant la voie ferrée, la foire d’art contemporain créée en 2007 cultive une image de rendez-vous pointu, éclectique et ouvert sur la diversité. Toutefois, corollaire de cette dimension prospective ciblant d’abord les institutions, son aspect commercial était jusqu’à récemment peu développé. « La mise en place des prix a aidé à créer une dynamique pour faire vendre », souligne Jérôme Pantalacci, directeur de la foire. Les collectionneurs associés à ces prix – qui seront annoncés ces prochaines heures – visitent la foire à fond, créent autour d’eux une certaine émulation, et achètent des œuvres.
De fait, de plus en plus de collectionneurs l’arpentent. Résultat : la manifestation affiche davantage d’œuvres « domestiques » qu’il y a quelques années. Entendez des peintures ou photos, de taille raisonnable, et non pas des installations destinées aux FRAC ou aux fondations. « Ce sont les collectionneurs qui conditionnent les galeries sur le choix de ce qu’elles vont montrer sur les stands. Les galeries présentent donc davantage d’œuvres faites pour leur plaire. La foire est un peu moins “à la pointe” cette année, avec parfois de la mauvaise peinture », estime le collectionneur belge Alain Servais. Ce dernier a particulièrement aimé l’installation d’Antoine Donzeaud à l’entrée de la foire, présentée par Exo Exo (Paris), – un contre-exemple ! –, deux compilations de vidéos d’adolescents au bord des larmes puisées sur les réseaux sociaux, à l’heure du journal extime (1 000 euros la vidéo). Ainsi que le stand très soigné de Meessen De Clercq (Bruxelles), dédié aux œuvres de Théo Massoulier, ikebanas contemporains interrogeant l’Anthropocène (à partir de 4 400 euros la pièce avec son caisson). Plusieurs ont été vendues à des Français du Nord et de la région marseillaise.
Parmi les présentations ou les œuvres les plus actuelles figurent le solo-show d’Andrès Pachón qui a créé un logiciel de recherche d’images (également à vendre) pour explorer les archives de la New York Public Library (Shazar Gallery, Naples). Composées de 150 images sélectionnées par l’intelligence artificielle, les œuvres proposées à 2 500 euros compilent, au choix, la botanique, des portraits de vedettes du cinéma muet des années 1920, l’architecture de Manhattan… Le Museo Reina Sofía, à Madrid, avait acquis la précédente série de l’artiste. Dans un autre genre et pour un autre solo-show, Jean-Baptiste Janisset (Everyday Gallery, Anvers) a travaillé avec le CNRS à Marseille pour créer une teinte étrange liée aux planètes, dans un accrochage baroque et détonnant. Plus classiques mais très beaux, les photocollages de la série Womankind de Maria Maria Acha Kutscher de 2015 ornent le stand de la galerie ADN (Barcelone) à partir de 1 800 euros.
Certains thèmes dont s’emparent parfois un peu facilement nombre d’artistes actuels, l’Américain Mark Dion en avait très tôt pressenti l’importance, dès les années 1990. Sur le stand de la galerie In Situ – fabienne leclerc (Romainville) sont présentées plusieurs de ses œuvres dénonçant les menaces climatiques, d’un ours polaire à des planches anciennes sur la faune revisitées. « Nous avons rencontré des visiteurs italiens, hollandais, allemands, et vendu plusieurs œuvres de différents artistes », précise Antoine Laurent sur le stand. Des Gensollen ou du plus discret Hervé Lebrun de Marseille à Frédéric de Goldschmidt ou Alain Servais, venus de Belgique, la fréquentation de cette édition est de très bonne tenue…
Gardez du temps pour le secteur Éditions et Design, étoffé cette année et qui fourmille de petits prix, depuis le diptyque Ou es-tu, que fais-tu ? d’Irma Kalt, eau-forte à 1 700 euros (Modulab, Metz) à 8 000 euros pour une fontaine de Fabrice Hyber en édition de 8 (Gilles Drouault galerie/multiples, Paris). Sans oublier de jeter un œil au corner pro diversité de la Villa Noailles d’Hyères et à son « mural » spécialement réalisé pour la foire par Cécile Guettier, lauréate du Prix Villa Noailles Emerige 2021. Entourée d’expositions de jeunes artistes sur le site même de la Belle de Mai, Art-o-rama réussit en cette fin de vacances estivales un équilibre guère évident, mais qui fonctionne jusqu’ici plutôt bien.
Art-o-rama, jusqu’au 28 août 2022, Friche la Belle de Mai, la Cartonnerie, 41, rue Jobin, 13003 Marseille.