La Fundação Bienal de São Paulo a publié le premier texte rédigé par le collectif de commissaires composé de Diane Lima, Grada Kilomba, Hélio Menezes et Manuel Borja-Villel annonçant le titre et le thème de la 35e Biennale de São Paulo, « choreographies of the impossible » [« les chorégraphies de l'impossible »], qui se déroulera de septembre à décembre 2023 dans la principale métropole brésilienne.
Le texte, que nous publions ci-après, présente les concepts et mouvements clés de la prochaine Biennale de São Paulo, la plus grande exposition d'art contemporain de l'hémisphère sud et la deuxième plus ancienne au monde après la Biennale de Venise.
« Comment des corps en mouvement peuvent-ils être capables de chorégraphier le possible, au sein de l'impossible ? La proposition pour la 35e Biennale de São Paulo émerge comme un projet mutuel autour de multiples possibilités de chorégraphier l'impossible. Comme le titre le suggère déjà, c'est une invitation à des imaginations radicales sur l'inconnu, ou même sur ce qui figure comme im/possible.
Nous employons le terme de chorégraphie pour souligner la pratique consistant à dessiner des séquences de mouvements à travers le temps et l'espace, générant des fractions, des formes, des images et des possibilités multiples et nouvelles, malgré toute l'infaisabilité et le déni. Nous nous intéressons aux rythmes, aux outils, aux stratégies et aux technologies, ainsi qu'à toutes les procédures symboliques, économiques et juridiques que les savoirs extra-disciplinaires sont capables de promouvoir, produisant ainsi la fuite, le refus et leurs exercices poétiques.
Nous présentons ici l'impossible indéfiniment, car nous comprenons que sa violence génératrice va également au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Elle est souvent incommensurable, indescriptible et inimaginable. Il s'agit donc pour nous de décrire, sans pour autant reconstituer.
Ainsi commence la répétition de la chorégraphie.
En tant que proposition curatoriale, « choreographies of the impossible » énonce un espace d'expérimentation - ouvert aux danses de l'inimaginable - qui incarne des mouvements capables de transformer ce qui est apparemment inexistant en existant. Cette idée de chorégraphie se fonde sur le caractère énigmatique du fait artistique et, donc, sur tout ce qui n'est ni usé ni évident, mais plutôt sur ce qui peut être nommé comme secret, mystère ou comme l'infini lui-même. Ce sont des éléments résilients, et donc des éléments de rupture, de tentative de liberté, par conséquent.
L'équipe de commissaires (par ordre alphabétique) est composée de Diane Lima, Grada Kilomba, Hélio Menezes et Manuel Borja-Villel. Notre équipe est un collectif, agissant horizontalement, dans une contre-danse. Pour nous, les chorégraphies commencent par notre pratique, dont le principe est la tentative de démanteler les hiérarchies, les procédures éthiques et normatives qui mettent en œuvre les structures verticales de pouvoir, de valeur et de violence des dispositifs institutionnels - que, comme nous le savons tous, le monde ne supporte plus.
Comment réaliser les « chorégraphies de l'impossible » ?
Où se trouvent ces chorégraphies ? Comment les regarder ? Et comment font-elles s'effondrer les catégories esthétiques de la pensée moderne, créant une image fractale dans laquelle s'unissent le politique, l'historique, l'organique, le physique et le spirituel ? Quand et comment le travail, la fréquence, la chaleur, la capacité sonore et la matière deviennent-ils des éléments de cette chorégraphie ? Et comment créer de nouveaux mouvements, en changeant la vitesse et les dimensions du temps : comment le différer, l'accélérer ou même l'arrêter ?
Ce premier moment commence comme une répétition, une répétition de mouvements dédiés à l'écriture et à l'effacement de mots, de termes et de concepts, qui produisent une constellation de pensées et d'actions afin de les trouver. Cette répétition a trait aux gestes d'approfondissement, de reconnaissance, d'effondrement et de rassemblement des cadres théoriques, des références symboliques et des répertoires esthétiques qui conforment la collectivité que nous sommes. Et, plus important encore, ces gestes font écho aux résonances de la collectivité qui nous dépasse et s'étend aux dialogues que nous avons eus avec d'autres penseurs, artistes, chercheurs, activistes, conservateurs et poètes.
Nous comprenons ce moment comme la première chorégraphie de notre projet curatorial. C'est la singularité de cet essai, qui s'écarte des frontières, qui nous permettra de déployer les réseaux de la 35e Biennale de São Paulo d'une manière extra-disciplinaire et extra-institutionnelle. Pour l'instant, la question centrale est la suivante : serait-il possible de faire émerger des réseaux qui transcendent un mouvement spatial expansif tout en ayant, à l'inverse, pour point de départ des gestes d'écoute, de mise en place de politiques de redistribution, d'attention aux personnes, aux espaces et aux territoires, qui sont eux-mêmes les chorégraphies de l'im/possible qui habitent les limites institutionnelles ?
Inspirée par des perceptions non linéaires et non progressives du temps, la 35e Biennale de São Paulo propose également une réflexion sur la manière dont différents registres de temporalité peuvent engendrer d'autres modes de production, de sensation, d'exposition et de relation aux pratiques artistiques. Temps(s) spiralé(s), fractal(s), plié(s) ; cadences qui déplacent les corps, dilatent et contractent les espaces, et ne s'inscrivent donc pas dans des chronologies ou des séquences. Cet ensemble incommensurable de possibilités de temps vivant est au cœur de notre intérêt curatorial.
C'est le mouvement en spirale que nous proposons, le développement du caractère performatif et en gradation des processus curatoriaux et artistiques. Disons que cette biennale a pour but de créer ce qui est possible dans un monde régi par les impossibilités. Telle est notre esquisse chorégraphique. »
Salvador, Berlin, São Paulo, Madrid, 2022.