L’édition 2022 de l’Armory Show s’est tenue au Javits Center, un centre de convention qui s’étend sur quatre pâtés de maisons le long de la 11e avenue. Avec près de 250 exposants, la foire a accueilli entre 50 et 70 galeries supplémentaires par rapport à l’époque où elle se tenait sur les Piers et près de 100 en comparaison à l’année dernière, lorsque la pandémie de Covid-19 avait empêché de nombreux étrangers d’y assister en présentiel.
« Nous ne sommes pas plus grands juste pour être plus grands, déclare Nicole Berry, directrice exécutive de la foire. Nous sommes plus grands parce que la demande est là et que le lieu le permet. C’est ce que nous avions imaginé pour la foire. Ce plan semble parfait, avec de larges allées et la magnifique agora qui relie les halls et offre de l’espace pour les merveilleuses œuvres de la section Plateform ».
L’un des principaux avantages de cet agrandissement est la place supplémentaire accordée au secteur Presents, dédié aux présentations en solo et en duo d’œuvres récentes de galeries qui n’ont pas plus de dix ans. « J’adore me promener dans cette section. Ces galeries sont vraiment l’avenir de la foire. Elles prennent des risques intéressants, déclare Nicole Berry. La taille et la dimension internationale du salon la placent certainement au même niveau que Frieze et Art Basel, qui sont, sans doute, les seuls concurrents de The Armory Show à organiser des événements de cette taille et de cette envergure dans le paysage mondial des foires d’art ».
Cette année, le salon a abordé le thème de la mondialisation en mettant l’accent sur l’Amérique latine du point de vue de la conservation et de la programmation. Le Curatorial Leadership Summit, un événement sur invitation seulement qui réunit chaque année environ 75 directeurs et conservateurs de musées internationaux, a été animé par une personnalité qui a fait plus que quiconque pour faire progresser la reconnaissance institutionnelle et la compréhension de l’art latino-américain, Mari Carmen Ramírez, conservatrice de l’art latino-américain au Museum of Fine Arts de Houston. Les sections Focus et Platform de la foire étaient également, à leur manière, centrées sur les galeries et les artistes du Sud.
Les liens établis au sein de ce noyau latino-américain ont permis le succès du salon. Des galeries du Mexique, de Colombie et de Porto Rico étaient présentes, mais aussi du Nigeria, du Kenya, d’Éthiopie et d’Afrique du Sud. « La foire est centrée sur l’Amérique latine et les latinos d’Amérique, mais pas seulement, explique Tobias Ostrander, commissaire de la section Platform de la foire, consacrée aux installations à grande échelle. Mais c’est vraiment la façon dont ces choses interagissent avec d’autres thématiques : les artistes noirs, ceux de la diaspora africaine, les Indigènes. Les gens ont tout cela à l’esprit ». L’idée d’interaction et, plus important encore, de contexte, a constitué le sous-texte de toutes les sections de la foire. Pour le secteur dont il était le commissaire, Tobias Ostrander s’est inspiré du discours décolonial qui prévaut actuellement. Ces dernières années, des monuments à la gloire de généraux de la guerre de Sécession, de présidents des États-Unis et de conquérants de l’ère des découvertes ont été détruits dans le monde entier, laissant les artistes et les institutions se demander ce qui devrait les remplacer.
La plupart des œuvres les plus puissantes de la foire se trouvaient dans la section Focus, organisée par Carla Acevedo-Yates, conservatrice au Museum of Contemporary Art de Chicago. Sur le stand de la galerie Sean Kelly, trois œuvres d’Hugo McCloud de près de deux mètres de haut résumaient presque parfaitement les liens entre l’art latino-américain et noir exposé. Chacune d’entre elles représente un homme, vraisemblablement âgé mais dont on ne voit pas le visage, chevauchant une bicyclette branlante à laquelle a été fixée une grande caisse peu profonde – il livre des fleurs. Ces œuvres, dont il est demandé 200 000 dollars, témoignent de la valeur du travail et de la différence entre les économies sociales. Plus important encore, la pièce comporte une dimension environnementale. McCloud récupère des sacs en plastique à usage unique qui, autrement, finiraient dans des décharges, puis les colle à la toile par un procédé de transfert thermique. Cela donne aux tableaux une texture délicate qui ne fait que renforcer leur message.
McCloud n’était pas le seul artiste de la foire à faire passer les sacs en plastique du statut de nuisance à celui de support. Instituto de Vision exposait une œuvre de l’artiste Aurora Pellizzi. Dans cette pièce, dont le prix est de 16 000 dollars, l’artiste a également utilisé ce type de sac en plastique à usage unique pour créer une abstraction élégante qui semble presque avoir été réalisée à partir d’une nouvelle variété de fleur. Pendant des années, Pellizzi a collecté les sacs, les a nettoyés et les a classés par couleur avant de les tisser ensemble pour créer le tableau qui en résulte.
À l’instar des choix inhabituels de supports, certains thèmes ont été très présents sur la section Focus. Plusieurs stands exceptionnels de cette partie étaient entièrement consacrés à l’art des années 1990. Sur le stand de Cecilia Brunson Projects, basée à Londres, figuraient deux œuvres de l’artiste Katie van Scherpenberg réalisées au cours de cette décennie. Bien que née à São Paulo, au Brésil, elle a vécu pendant des années avec ses parents sur une petite île de l’Amazone achetée par son père. Lorsque sa mère en a eu marre, elle a quitté la future artiste et son père, non sans avoir offert à sa fille le linge de lit de son trousseau. Vingt ans plus tard, l’artiste a utilisé ce linge dans les œuvres exposées, le fixant sur la toile et le colorant avec des oxydes de bronze et de cuivre qui, au fil du temps, ont commencé à prendre une teinte vert pâle. Sous cette surface d’apparence métallique, on peut voir les draps brodés, lentement enveloppés par la couleur oxydante. Deux des œuvres de Katie van Scherpenberg exposées sur le stand ont été vendues en début d’après-midi lors du vernissage VIP du 8 septembre.
Le stand de la galerie texane Ruiz-Healy Art était consacré à l’œuvre de l’artiste mexicain-américain Chuck Ramirez, proposant une réplique exacte d’une exposition organisée dans sa ville natale, San Antonio, au Texas, en 1999. Après avoir appris qu’il était atteint du sida en 1993, Ramirez a quitté son emploi pour se consacrer à la création artistique. Les œuvres les plus poignantes sont deux grandes photos représentant son « cocktail » quotidien de médicaments qu’il prenait pour lutter contre sa maladie. Dans chaque compartiment du pilulier en plastique, l’ombre de médicaments coûteux, difficiles à obtenir et qui sauvent des vies rappelle que, cette semaine encore, un juge conservateur du Texas a décidé que les médicaments qui préviennent l’infection par le VIH ne peuvent plus être distribués gratuitement dans le cadre de la loi sur les soins abordables, car ils « pourraient porter atteinte aux droits des employeurs en vertu d’une loi appelée Religious Freedom Restoration Act », selon une dépêche de Reuters.
Bien sûr, que serait une foire new-yorkaise sans ses célébrités, et cette année Paul Rudd, Jared Leto et Anderson Cooper figuraient parmi les visiteurs lors de l’avant-première VIP. Lors de celle-ci, nombreux étaient ceux à se demander où étaient les méga-galeries Hauser & Wirth, Gagosian et Pace ? Ce n’est certainement pas leur absence qui a poussé plusieurs collectionneurs à souligner une grande uniformité des stands de la section centrale.