William Klein est mort le 10 septembre à 96 ans. Il était l’un des grands maîtres de la photographie et du cinéma du XXe siècle, même s’il en a cassé tous les codes et bousculé toutes les certitudes. En 1956, la publication de son livre sur New York a constitué un électrochoc. D’autres ouvrages coup de poing ont suivi sur Rome, Moscou ou Tokyo. Il s’est aussi illustré dans l’univers de la photo de mode, qu’il a révolutionné. Klein a commencé sa carrière de photographe de mode dans les années 1950-1960, à la grande période du Vogue américain dont le directeur artistique était alors Alexander Liberman. Il a sorti les mannequins des studios, les a propulsés dans le chaos de la ville et s’est moqué du milieu de la « fashion » dans son film Qui êtes-vous Polly, Maggoo ? de 1966. Ce qui ne l’a pas empêché de réaliser plus tard d’innombrables spots publicitaires. En tant que cinéaste, il a produit une quinzaine de films de fiction ou documentaires. Sa marque de fabrique est le grand angle et la pellicule ultrasensible. Muni de ces deux armes et d’un sens démultiplié de la dynamique, William Klein a inventé une photo agressive, physique, qui fait fi de toutes les règles de cadrage édictées jusque-là par Henri Cartier-Bresson. Granulations, contrastes forcés, photos bougées, grafitées, accidents de tirages... : Klein a refusé une photo propre et cadrée au profit d’une vision cinétique et ultra-dynamique.
Élève de Fernand Léger, graphiste et peintre de formation, Klein se réclame autant de la photographie que de la BD, du dadaïsme ou des peintres du Quattrocento. Son adage ? « Faire du Masaccio au 125e de seconde ». Ou encore « Photographier un mariage comme une rafle et, à l’inverse, une manif comme un portrait de famille. »Des films publicitaires « Dim Dam Dom » aux instantanés des meetings des Black Panthers ou des manifs de 1968, des close-up aux planches-contacts repeints, Klein a mixé toutes les disciplines, créé de « nouveaux objets visuels » qui échappent aux étiquettes, tout en faisant cause commune avec les grands enjeux de son temps comme son engagement pour les droits civiques – son film « Muhammad Ali the Greatest (1969) reste un chef-d’œuvre - ou la lutte contre la guerre au Vietnam. Maître de l’ « Action photography », kamikaze fonçant dans le décor de la ville moderne, il est un artiste charnière entre les peintres expressionnistes abstraits de l’après-guerre, comme de Kooning ou Franz Kline, et le pop art.
Exilé à Paris depuis plus de soixante ans, il a été sous-estimé par l’Amérique qui a toujours eu du mal à digérer ses manifestes photographiques en forme de guérilla urbaine et qui ne lui a jamais consacré de grande rétrospective ni au MoMA ni au Metropolitan de New York, quand la Tate Modern à Londres ou le Centre Pompidou à Paris l’ont honoré. Pressentant sa disparition prochaine, l’International Center of Photography (ICP) à New York lui a dédié une vaste exposition cet été, sous le commissariat de David Campany. Elle s’est close ce 12 septembre 2022. Pour Catherine Derioz, la directrice de la galerie Lyonnaise Le Réverbère, qui représente l’artiste depuis plus de trente ans, « il était le père de la photographie contemporaine avec Robert Frank. Tous deux ont fait bouger les lignes et influencé durablement la scène photographique contemporaine, notamment japonaise. » Il était également représenté à Paris par la galerie Polka, à New York par Howard Greenberg Gallery, à Londres par HackelBury Fine Art. Un catalogue de son exposition « William Klein: YES; Photographs, Paintings, Films, 1948–2013 » à l’ICP doit sortir prochainement chez Thames & Hudson.