Comment est née l’idée du festival « Alliance des corps », une occupation artistique de l’espace pour les 20 ans du Palais de Tokyo ?
J’ai vécu à Paris, où j’ai eu l’occasion de travailler avec les laboratoires d’Aubervilliers et le Centre Pompidou pour le festival Move. J’ai participé en 2016 à une édition du festival Do Disturb au Palais de Tokyo, créé par Vittoria Matarrese. Depuis, nous sommes restées en contact. Lorsqu’elle m’a appelée, j’ai tout de suite accepté. Nous partageons une vision commune de ce qu’une institution culturelle peut et doit être. J’ai toujours été une artiste activiste, désireuse de provoquer le débat – et parfois des polémiques. À mes yeux, les musées et les institutions se doivent d’être plus impliqués dans le tissu social, plus inclusifs, aller au-devant du public. Ce sont des espaces dynamiques, pas uniquement des écrins pour exposer des œuvres. Ils peuvent aussi offrir un accueil pour des publics très différents. Je travaille à cela depuis près d’une vingtaine d’années maintenant. L’idée était aussi de s’inscrire dans l’esprit du lieu et préfigurer, à l’occasion de cet anniversaire, ce que pourrait être le Palais de Tokyo dans le futur, un lieu militant de l’inclusion, de la diversité, qu’il s’agisse du genre, du handicap physique ou mental… Changer les protocoles est toujours compliqué, y compris pour accueillir les gens que j’ai invités pour ce festival. Cela a aussi été un challenge pour l’institution. Plutôt que de présenter une nouvelle exposition en tant qu’artiste, j’ai souhaité célébrer une possibilité. Le format du festival offre une chance de proposer différentes choses.
Quelles sont ces différentes propositions ?
Les visiteurs peuvent participer à des workshops (Voguing, Rap, Art du déplacement Parkour, Krump, Beatbox, Acroyoga, Cheerleading, Batucada…), menés par des gens que nous avons recrutés à Paris. C’est un format hybride, conçu spécifiquement pour le site. Ces ateliers seront accessibles à différents publics selon les âges, les goûts, les genres… Bien sûr, l’idée est que les gens se rencontrent, se rassemblent. La musique, la danse sont des espaces de création mais aussi de revendication et de partage. Au Brésil, par exemple, la Batucada a d’abord été une pratique de résistance et d’affirmation de soi, comme le Voguing, né dans les clubs gays à New York dans les années 1970. Avec parfois des surprises : nous avons par exemple orchestré la rencontre inédite du Krump – des battles de danse hip-hop nées dans le ghetto de Los Angeles au début des années 2000 – et du chant soprano ! Il y aura ensuite chaque jour des performances intenses. Célébrer une communauté est un moyen de rapprocher, faire découvrir, créer du contact. Un festival se doit d’être festif. Je ne veux pas que ce programme soit confortable, mais qu’il ouvre des horizons. Mon travail explore les possibilités pour l’art d’impliquer activement le public, en tant que participant et non plus spectateur. Les gens les plus vulnérables sont transformés dans ce process, ils deviennent les leaders de la performance, c’est très valorisant. C’est un vecteur de transformation, à la fois en termes d’estime de soi, mais aussi du regard des autres. Trois scènes seront activées simultanément. Le public pourra participer librement, passer d’un endroit à un autre. Enfin, chaque soirée donnera lieu un DJ set curaté, à savoir que j’ai demandé à chacun des DJs de créer un set qui pose des questions sur l’écologie. Nous avons sollicité de nombreuses associations, représentatives de la communauté LGBT+, au cœur des problèmes liés à la mobilité, au handicap, que l’on soit non-voyant ou en fauteuil roulant. Le dernier jour, nous organiserons une table ronde, modérée par le Bondy Blog, sur les possibilités notamment de prendre davantage en compte la diversité dans la sphère artistique.
Vous investissez aussi l’espace avec une scénographie de « luminari », ces structures architecturales inspirées du sud de l’Italie, sur lesquelles sont inscrits des slogans. Vous parlez à leur sujet de « floraison personnelle » …
J’aime beaucoup ce terme. Le projet de ce festival est de montrer ce qui peut se produire dans un environnement collectif, comment chacun peut trouver sa place. La « floraison » des personnes est pour moi l’idée que l’art est un outil pour ce faire. Cette tradition des luminari, ces structures lumineuses venant des Pouilles, trouve son origine avant tout dans l’idée de créer des espaces pour la vie en société. C’est un lieu où les gens se retrouvent. Judith Butler a écrit un livre intitulé Bodies in Alliance and the Politics of the Street, dans lequel elle analyse le sens de la rencontre des corps dans une certaine situation. Cela a inspiré le titre du festival, « Alliance des corps ». C’est une dimension à la fois sociale et politique. Ce qui m’intéresse, c’est aussi le côté temporaire de telles structures et des situations qu’elles créent, à l’occasion de fêtes, par exemple. Nous pensons trop « permanence », or nous réalisons aujourd’hui combien cette omniprésence affecte notre environnement. Partout où j’ai installé ces structures, les gens se sont rassemblés pour échanger, se rencontrer. L’effet est très puissant. Les slogans que je place sur ces structures sont toujours nés d’une collaboration avec des gens. L’exposition dans laquelle s’inscrivent ces workshops et performances est constituée de ces structures que j’utilise depuis des années. Pour moi, ce sont des plateformes pour accueillir ces performances, susciter là encore la rencontre, l’échange.
Festival « Alliance des corps », du 15 au 18 septembre, Palais de Tokyo, 75116 Paris.