Hormis le fait que Ljubljana regorge de splendides bâtiments signés Jože Plečnik, la capitale slovène accueille aussi « la plus ancienne biennale de design au monde » : BIO Ljubljana. Son édition 2022, qui se déroule jusqu’au 23 octobre dans plusieurs lieux de la ville, aborde, sous la houlette de la commissaire londonienne Jane Withers, une thématique intitulée « Super Vernaculaires, Design pour un avenir régénératif ». La question qui sourd en filigrane – le savoir autochtone peut-il nous aider à concevoir un avenir plus durable ? – se révèle des plus passionnantes, d’autant que designers, architectes et chercheurs du monde entier montrent à l’envi, à travers leurs projets, comment ces connaissances indigènes largement ignorées à l’ère moderne peuvent servir de tremplin pour l’innovation contemporaine.
Dès les années 1960, l’architecte et penseur Bernard Rudofsky, fameux auteur du livre Architecture Without Architects, exhibé en préambule de l’exposition, exprimait la valeur de l’architecture « vernaculaire, anonyme, spontanée, indigène, rurale ». De même, les attitudes vernaculaires furent source constante d’inspiration pour les designers Enzo Mari – la chaise Autoprogettazione –, Riccardo Dalisi – réinterprétation de la traditionnelle cafetière napolitaine pour le fabricant Alessi – ou Charles et Ray Eames – qui, jadis, vantèrent la fonctionnalité de la feuille de banane, utilisée, en Inde, aussi bien pour emballer que comme contenant. Ces attitudes font écho à nombre de problématiques actuelles (rareté de l’eau, gaspillage, déclin de la biodiversité, etc.). Le parcours déroule ainsi la manière dont certains designers réinventent, sinon subvertissent, et adaptent les pratiques traditionnelles pour répondre à ces besoins et défis contemporains.
Une section baptisée « Vernacular Modernism » balaie les coins les plus reculés de deux pays, la Slovénie et la Croatie, dégotant des principes architecturaux traditionnels et ingénieux, tels ces râteliers pour le séchage du foin que l’architecte Oton Jugovec a revisité, à Otok Pri Dobravi (Slovénie), pour en faire un « toit flottant » qui protège un site archéologique. Ailleurs, une vidéo montre le travail sur la terre cuite de l’agence Ant Studio, basée à Delhi (Inde), lequel s’inspire des méthodes traditionnelles de refroidissement par évaporation de l’eau pour développer un système de façade « perforée » en modules de terracotta – CoolAnt –, alternative passive à la climatisation. En Italie, l’architecte Mario Cucinella et la société World’s Advanced Saving Project (WASP) impriment en 3D des maisons expérimentales – Tecla 3D Printed House –, avec un mélange de terre, de sable et de fibres. Tandis que sur l’île de Bali, l’agence Ibuku a travaillé avec les ingénieurs d’Atelier One sur le traitement anti-insectes pour édifier des structures monumentales en bambou, capables de résister aux tempêtes ou séismes, telle cette École verte.
A contrario, en amont de la construction, on rivalise d’ingéniosité pour inventer de nouveaux matériaux. Au nord de Londres, la Margent Farm a développé un panneau ondulé en fibres de chanvre ultra-résistant et bon isolant, efficace aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui remplace acier, PVC ou ciment davantage carbonés. En Norvège, la firme Saferock produit, avec des déchets miniers, un béton géopolymère – certification attendue pour 2023 –, dont l’empreinte carbone est 70 % moindre que le béton traditionnel.
L’originalité est de mise. Ainsi, Gianantonio Locatelli et Luca Cipelletti œuvrent, depuis 2015, avec une ferme des environs de Plaisance (Italie), pour réaliser un produit pour le moins déconcertant : la Merdacotta, sorte de terracotta faite de terre, de paille et de… bouse de vache, dont ils font des tuiles, des briques, voire des… vases. À l’autre extrémité de la chaîne, l’Israélienne Shahar Livne récupère le sang dans les abattoirs pour élaborer des pigments de teinture (The Meat Factory).
Le « Zéro déchet » est assurément en point de mire. Au Japon, le village de Kamikatsu, dans la préfecture de Tokushima, évolue selon un « Manifeste des 45 catégories de déchets transformables » et s’affiche complètement « Zero-Waste » depuis 2020. Sans poubelles, les restaurants Silo (Melbourne, Londres, Copenhague…) montés par le Néerlandais Joost Bakker déclinent des menus où les chefs utilisent de pied en cap le légume ou l’animal. Côté réduction des énergies, on l’aura compris, la gastronomie n’est pas en reste. En vue de diminuer notre consommation de viande et de manger une plus grande variété de protéines, la Néerlandaise Carolien Niebling invente, à l’aide d’un maître-boucher et d’un chef spécialisé en cuisine moléculaire, la saucisse du futur, dont on peut voir, ici, quelques maquettes. Celle-ci inclut, à la place de la viande, noix, légumineuses, voire insectes. Créé pour l’occasion, le spécimen slovène intègre sarrasin, champignons, pignons, ail sauvage et aneth. Bref, cette saucisse du futur s’adapte décidément à toutes les contrées.
« Bio27, Super Vernaculars », jusqu’au 23 octobre 2022, divers lieux, Ljubljana, Slovénie, https://27.bio.si