Le Kremlin a annoncé que des dizaines de musées ukrainiens passaient sous le giron russe, après que le président Vladimir Poutine a signé le 30 septembre un décret annexant quatre régions d’Ukraine occupées par les troupes de Moscou.
Des référendums sur l’adhésion à la Fédération de Russie ont été organisés du 23 au 27 septembre dans les territoires de Donetsk, Louhansk, Kherson et de Zaporijia – dont la superficie cumulée est comparable à celle du Portugal et où vivent des millions de citoyens ukrainiens. Ils se sont soldés par une majorité écrasante de suffrages en faveur d’une adhésion à la Russie. Ces résultats ont été largement rejetés par la communauté internationale.
Des milliers d’œuvres et objets d’art ukrainiens passent ainsi sous le giron de l’occupant. L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 peut être considérée comme un exemple de ce qui pourrait dorénavant se dérouler dans le domaine de l’art et du patrimoine. L’annexion de la Crimée a donné lieu à un procès international toujours en cours concernant les pièces scythes en or prêtées par l’Ukraine au musée Allard Pierson d’Amsterdam. La Russie exige que ces pièces des musées de Crimée soient restituées à la péninsule de la mer Noire.
Le ministre ukrainien de la Culture et de la Politique de l’information, Oleksandr Tkachenko, a déclaré en août à la chaîne de télévision ukrainienne Suspilne qu’il n’était pas possible d’évacuer rapidement les œuvres des musées situés dans les zones revendiquées par la Russie. « Ce qu’il faut, ce n’est pas l’opposition des directeurs de musées, comme nous l’avons souvent vu dans les régions où les hostilités ont déjà eu lieu, mais la coopération avec les autorités locales, a-t-il déclaré. Nous n’avons pas le budget nécessaire pour évacuer qui que ce soit ».
Voici un aperçu des musées situés dans chacune des régions annexées :
Donetsk
Le mouvement séparatiste soutenu par la Russie dans cette région de l’est de l’Ukraine et dans celle voisine de Louhansk, lancé en 2014, a précédé l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par Vladimir Poutine le 24 février 2022.
Marioupol, la deuxième ville de la région de Donetsk, est un port stratégiquement situé sur la mer d’Azov, en face de la péninsule de Crimée, que la Russie a annexée en 2014. La ville a été encerclée par les forces russes peu après le lancement de l’invasion. Certains de ses musées les plus remarquables ont été endommagés pendant les combats. L’artiste du début du XXe siècle Arkhip Kouïndji est né à Marioupol. Un musée consacré à son œuvre, le Kuindzhi Art Museum, a d’abord été considéré comme complètement détruit après une frappe aérienne. Cependant, les œuvres du Musée d’histoire locale et du Kuindzhi Art Museum de Marioupol qui ont survécu ont été transférées au Musée régional d’histoire locale de Donetsk.
Olga Zagoruiko, conservatrice en chef du musée d’art de Donetsk, a donné un entretien publié le 23 février 2022 dans le journal russe Moskovsky Komsomolets, dans lequel elle affirme que les collections du musée sont stockées en toute sécurité. « Il n’est pas de notre ressort » de décider de les déplacer en Russie, a déclaré Olga Zagoruiko, lorsqu’on lui demandait si cela était envisagé en cas de « crise majeure ».
La directrice adjointe du musée d’histoire locale de Donetsk, Lina Garmash, a présenté un document lors d’une réunion des employés du musée à Saint-Pétersbourg en septembre, intitulé « Préservation des biens culturels. Planification et préparation de l’évacuation ». Boris Piotrovski, vice-gouverneur de Saint-Pétersbourg et fils du directeur du musée de l’Ermitage, Mikhail Piotrovski, s’est rendu sur place pour suivre les travaux de reconstruction de Marioupol.
Olena Pekh, chargée de recherche au musée d’art de Horlivka, dans la région de Donetsk, a été appréhendée par les forces pro-russes en 2018 et condamnée à 13 ans de prison pour espionnage.
Louhansk
La ville de Louhansk, capitale de la région éponyme, possède l’une des plus importantes collections d’Ukraine de statues sacrées polovtsiennes connues sous le nom de babas de pierre – soit soixante exemplaires –, dont certaines remontent au IXe siècle, et qui ont été comparées aux Moaï de l’île de Pâques.
En 2017, une délégation du musée d’art de Louhansk a rendu visite à ses homologues de Voronezh, en Russie, pour aborder « le travail des institutions culturelles dans des conditions économiques et politiques extrêmes ». Sur les réseaux sociaux, une page du Musée régional des traditions locales de Louhansk fait référence au référendum et aux « Héros de la République populaire de Louhansk ».
Des photographies rendues publiques par l’Institut ukrainien, un organisme officiel du pays, mettent en évidence les dégâts subis par le Musée d’histoire et de culture de Louhansk, qui possédait une collection de 50 000 pièces et a été touché par des bombardements russes en 2014.
Kherson
La région de Kherson, riche en sites archéologiques et située sur la mer Noire, est occupée par les troupes russes depuis mars, alors qu’elles cherchaient à établir un lien terrestre vers la Crimée.
Le musée d’histoire locale de Kherson possède une collection de plus de 170 000 pièces. Un reportage de la télévision d’État russe, diffusé pour la première fois en juin, s’est intéressé à une exposition du musée qui explorait l’histoire militaire impériale russe dans la région sous Catherine II la Grande. L’émission faisait référence à « la ville russe de Kherson » et affirmait que le musée avait été utilisé auparavant pour promouvoir les politiques nationalistes ukrainiennes. L’Ukraine considère la directrice du musée, Tatiana Bratchenko, comme étant une collaborationniste russe.
Alina Dotsenko, directrice du musée d’art de Kherson, qui a ouvert ses portes en 1912 grâce à des dons d’œuvres provenant des collections impériales de Saint-Pétersbourg, a signalé en juillet que des représentants du FSB russe et des policiers masqués étaient venus installer un « nouveau directeur ».
Zaporijia
La ville de Melitopol reste sous contrôle russe, ainsi que son musée d’histoire locale. Sa directrice, Leyla Ibrahimova, a été brièvement kidnappée. Un article du New York Times explique comment les troupes russes et un russophone vêtu d’une blouse blanche ont tenté de forcer Galina Kucher, employée du musée, à révéler sous la menace d’une arme le lieu de stockage de la collection d’or scythe du musée. Ces pièces ont ensuite été volées. L’homme en blouse a ensuite été identifié par les médias d’État russes comme étant Evgeny Gorlachev, qui a été nommé nouveau directeur du musée. Ce dernier est désormais chargé du recrutement d’un bataillon de volontaires pour combattre contre l’Ukraine.