Si son drapeau claque fièrement au vent sur l’une des tourelles comme sur une goélette corsaire, c’est une intervention toute en douceur qu’a réalisée Jean-Baptiste Bernadet à la Citadelle de Villefranche-sur-Mer. Une immense bâtisse du XVIe siècle surveillant, désormais pacifiquement, l’une des plus belles rades du monde. L’artiste breton est allé puiser son inspiration en Méditerranée. C’est un « peintre de paysages qui a plus regardé les impressionnistes que les abstraits du XXe siècle », souligne la directrice des lieux, Camille Frasca. Dans la chapelle, les deux seules toiles de l’exposition, deux peintures à l’huile au pinceau et au chiffon, en reprennent la touche dans une subtile palette bleutée avec laquelle vient jouer la lumière naturelle. Dans la chapelle toujours, la lumière joue aussi sur des branches de citronnier en bronze doré, nouvelles créations auxquelles des traces de polychromie donnent un air antique. Enfin, l’objectif photographique de Jean-Baptiste Bernadet capte le soleil dans les cheveux teints en blond de son compagnon Diego. Pour composer cette élégie intemporelle, l’artiste a aussi regardé du côté de Noces et de L’Été de Camus. Sa célébration convoque tant l’incandescence de cette saison dionysiaque que la mémoire et le souvenir…
Après l’intime, et l’éclairage adouci par les murs épais, place à l’extérieur et à la confrontation avec le soleil du Midi, un défi pour tout artiste. Côté cour, Jean-Baptiste Bernadet a accroché en hauteur des tondi de lave émaillée noire, marine ou jaune, réalisées avec un artisan de Cagnes, dont la surface craquelée évoque celle de la lune. Le dernier, vert, invite à passer au jardin et lui sert d’incipit.
Dans un coin où l’horizon sur la grande bleue est bouché, l’artiste a imaginé une immense « mural » de carreaux de faïence, de treize mètres de long. Un hommage à Agnes Martin, vue au MoMA à New York. L’œuvre s’intègre si bien à son environnement, semble tellement y avoir trouvé sa place naturelle, qu’il serait dommage de la voir partir après l’exposition… Plus loin, dans une échauguette aux tuiles polychromes vernissées, Jean-Baptiste Bernadet a remplacé les fenêtres par des vitraux qu’on dirait d’albâtre, mais créés en réalité en plastique recyclé.
Du grand drapeau reprenant les couleurs de sa toile, à un navire en néon variant du rose au jaune en passant par le bleu, tiré d’un graffiti ancien trouvé sur les lieux, suspendu sur une muraille extérieure restaurée, l’intervention de l’artiste donne davantage de visibilité et une autre identité à l’intimidante citadelle. L’exposition est aussi l’occasion d’arpenter ses jardins offrant une vue rêveuse en balcon sur la Méditerranée. Avec la bénédiction de la municipalité, qui en a compris le potentiel, Camille Frasca s’est attelée à un immense chantier de 12 millions d’euros. Pour l’heure, seul un hectare sur trois est exploité. La directrice ambitionne, explique-t-elle, de remettre en avant le théâtre de verdure et la roseraie, de créer des jardins paysagers, d’ouvrir davantage le bastion vers le reste de la ville. Bref, de l’inscrire pleinement dans la cité. Il n’y avait pas eu de travaux aussi importants depuis la réhabilitation du lieu - classé monuments historiques en 1968 - dans les années 1980.
Un autre axe est de redynamiser les beaux fonds détenus dans ces murs, ceux des musées – un brin poussiéreux - Volti, Goetz-Boumeester, et le fonds municipal, actuellement fermés –, entre autres en restaurant les œuvres. La grande nouveauté apportée par Camille Frasca ? Concevoir aussi la citadelle comme un centre d’art en invitant des artistes contemporains qui viennent auparavant en résidence s’imprégner des lieux. L’exposition de Jean-Baptiste Bernadet a reçu le soutien financier et opérationnel de la galerie Almine Rech, qui représente Bernadet, ainsi que de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte (FABA). « Comment faire vivre ce lieu ? En l’ouvrant à l’art contemporain, en nouant des partenariats dans un cercle vertueux », explique la directrice. Un nouvel avenir pour la Citadelle.
« Jean-Baptiste Bernadet. Plein jour », jusqu’au 4 décembre 2022, La Citadelle, place Emmanuel Philibert, 06230 Villefranche-sur-Mer.