Peter Schjeldahl, le critique d’art du New Yorker dont la voix singulière et poétique a été un guide dans le monde de l’art new-yorkais pendant des décennies, est décédé le 21 octobre, à l’âge de 80 ans, à son domicile de Bovina, une petite ville du nord de l’État de New York. Le décès a été confirmé par sa femme, Brooke Alderson, ainsi que par le New Yorker. Schjeldahl est mort d’un cancer du poumon, qui lui avait été diagnostiqué en 2019.
« [Notre fille] Ada était présente lorsque mon oncologue, au Memorial Sloan Kettering, m’a donné environ six mois à vivre. Ada m’a demandé ce que je voulais faire. Revisiter Rome ? Paris ?, a écrit Schjeldahl dans un essai publié en 2019 dans The New Yorker. J’ai répondu : "Non. Peut-être un match de baseball." Elle l’a organisé, avec la famille et les amis : Mets contre Braves, à Citi Field. Glorieux. Oliver, mon petit-fils, a attrapé un T-shirt dans le canon à T-shirt de la mi-temps. Les chances de réussite sont de plusieurs milliers contre une. »
Peter Schjeldahl était né le 20 mars 1942 à Fargo, dans le Dakota du Nord, et a grandi dans de petites villes du Dakota du Nord et du Minnesota. Il a fréquenté le Carleton College à Northfield, dans le Minnesota, mais a abandonné ses études après sa deuxième année. Il a alors envoyé des lettres à un certain nombre de petits journaux dans l’espoir de trouver un poste de rédacteur qui pourrait l’ancrer dans une grande ville. Le seul à lui avoir répondu est le Jersey Journal, un quotidien basé à Jersey City, dans le New Jersey. Grâce à cet emploi, il a pu s’immerger dans la communauté des poètes de New York en dehors de ses heures de travail, participant à l’atelier d’écriture de Kenneth Koch à la New School. Il est retourné ensuite au Carleton College pour finalement renoncer en 1964, mais pas avant d’avoir fondé avec un camarade de classe un magazine de poésie intitulé Mother, qui présentait les poètes de l’École de New York avec lesquels Schjeldahl venait de se familiariser.
Sa vie d’écrivain a vraiment commencé par la poésie, et sa sensibilité de poète n’a jamais quitté son travail. « Je pensais qu’il était normal que les poètes écrivent des critiques d’art, a-t-il confié à Interview en 2014. J’ai donc commencé à le faire, et les gens ont aimé ce que je faisais ». À l’annonce de sa mort, David Remnick, rédacteur en chef du New Yorker, a écrit : « une voix, c’est ce qu’il a toujours eu : distincte, claire, drôle. Une voix de poète – épigrammatique, rien de superflu ». Il a ajouté : « Peter était un homme aux opinions bien arrêtées, sur l’art et sur bien d’autres choses. C’était quelqu’un qui, après avoir été perdu pendant un certain temps, savait certaines choses sur la survie. »
La critique de Schjeldahl était marquée par une volonté à trouver la vérité et l’humanité dans l’art, ne succombant jamais à la mode ou à ce que l’on pourrait appeler le « jargon artistique ». Le critique privilégiait plutôt un ton personnel, usant de son charme et son humour pour ramener les grandes idées à une dimension humaine. Il décelait des questions dans l’œuvre plutôt que de prétendre avoir toutes les réponses, et au lieu de faire de grandes déclarations sur la signification de l’art, il écrivait plutôt sur ses rencontres avec l’œuvre, laissant le sens s’épanouir à partir de là. L’écrivain Jarrett Earnest, dans l’introduction du recueil de textes de Schjeldahl sur l’art, Hot, Cold, Heavy Light (2019), a écrit que le critique « s’intéresse de près aux idées, émotions et associations souvent contradictoires qui surgissent lorsque nous regardons les œuvres d’art, évacuant ainsi toute opinion préexistante, et reste sensible à la spécificité de chaque rencontre. »
Après avoir quitté l’université, Schjeldahl a passé ce qu’il décrit comme « une année médiocre et largement inutile » à Paris, bien que quelque part dans cette année perdue, il ait découvert un amour pour l’art. Et lorsqu’il est retourné aux États-Unis en 1965, il a convaincu Art News de lui attribuer un emploi éphémère de critique. Il obtient ensuite un poste au Village Voice, une publication qu’il quittera et réintégrera trois fois au total, la plus courte période ne durant que quelques semaines et la plus longue s’étendant de 1991 à 1998. Finalement, ses critiques d’art ont pris le pas sur ses poèmes pour un certain nombre de raisons, dont la moindre n’est pas que « les soirées artistiques sont infiniment plus amusantes que les soirées poétiques », comme il l’a confié. En 1995, il a reçu une bourse du Guggenheim pour écrire ses mémoires, mais il a préféré utiliser l’argent pour acheter un tracteur. En 1998, il a accepté un poste de critique pour le New Yorker, qu’il a conservé jusqu’à sa mort. Ses derniers textes ont été publiés dans le magazine pas plus tard que ce mois-ci.
« Pourquoi l’art de ce que nous appelons les maîtres anciens a-t-il tellement plus d’âme que celui de la plupart des modernes et de presque tous nos contemporains ? » a écrit Schjeldahl dans un essai d’avril 2020 pour le New Yorker, qui établissait un lien entre la pandémie de Covid-19 et l’œuvre des maîtres anciens. « Je pense que la raison est une prise de conscience routinière de la mort ». Dans cet essai, il écrit : « ce genre de réévaluation peut se produire lorsque des événements perturbent le cours et le sens habituels de votre vie. Vous pouvez être amené non seulement à vous évader de vous-même – l’avantage d’un travail réussi dans le domaine de toutes les formes d’art, lorsque vous êtes d’humeur à le faire – mais aussi de votre époque, relocalisé dans un passé particulier qui semble dissiper, dans un éclair de réalité indéniable, tout ce que vous pensiez savoir. Ce n’est pas comme revenir à quelque chose. C’est se retrouver par anticipation comme la conséquence fortuite de vérités entièrement réalisées et immuables. »