Contrepoint aux événements « mainstream », Artissima apporte jusqu’à dimanche 6 novembre un bol d’air frais au pied des Alpes, dans la capitale du Piémont. Ici, ce sont les artistes émergents, les projets monographiques singuliers et les redécouvertes qui sont – littéralement – au centre de la foire, à travers les secteurs Disegni (dessins), Present Future, Back to the future, mais aussi les 15 galeries récentes de New Entries et les focus de Monologue/Dialogue. Cette année, « Artissima est bellissima », a résumé lors d’un dîner la collectionneuse et mécène Patrizia Sandretto Re Rebaudengo, qui expose dans sa fondation Lawrence Abu Hamdan, Diana Policarpo ou encore les énigmatiques portraits de Victor Man. Une façon de souligner le travail accompli par le nouveau directeur artistique de la foire, Luigi Fassi, qui connaît très bien son sujet : il a été le curateur du secteur Present Future de 2010 à 2017, et a aussi grandi et étudié à Turin.
« Nous avons réduit le nombre de galeries, passant de 208 exposants en 2019 à 174 en 2022, confie ce dernier. Nous avons davantage ouvert la foire aux galeries étrangères, qui représentent 60 % des stands. Ce qui crée une émulation pour les galeries italiennes, et les incite à se surpasser ». Le renouvellement est important, avec 42 nouveaux participants. Si ce choix a fait des déçus parmi les exposants transalpins non repris, il permet de resserrer la foire qualitativement. Riche notamment en enseignes allemandes, Artissima accueille cette année des galeries d’Europe centrale et de l’Est, un appel d’air bienvenu, des galeries originaires notamment de Bucarest, Vienne, Budapest, Varsovie… Résultat : une fréquentation italienne, française et belge (des Gensollen aux Guerlain), allemande, mais aussi hongroise ou bulgare, et même Marc Spiegler, patron pour quelques mois encore d’Art Basel…
Gérée par une fondation publique non commerciale, Artissima permet aussi aux exposants de prendre plus de risques qu’ailleurs, avec des vidéos, des installations, des œuvres plus complexes, à l’instar des cartes marines en soie pliées de 2020 par Elisabetta Benassi et qui servaient aux pilotes de guerre à se repérer en terrain ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale, chez Magazzino (Rome) ; ou d’un piston broyant un morceau de bois, par Arcangelo Sassolino, chez Repetto (Londres). Ou encore de l’installation de matériel médical, seringues et autres ustensiles simplement posés au sol, pour 14 000 euros, sur le stand de la galerie Isabella Bortolozzi, de Berlin, « portrait en creux de l’artiste, James Richards, et de ses amis et réflexion sur la maladie », explique la galeriste, pour qui Artissima se distingue notamment par ses secteurs curatés par de jeunes commissaires…
Leur cible principale : les institutions transalpines et les dix prix décernés sur la foire. Dont un nouveau, créé en association avec la banque Intesa Sanpaolo, qui vient d’ouvrir un nouvel espace à Turin, Gallerie d’Italia, dédié à la photo et à la vidéo. De Larry Achiampong à Alice Dos Reis, il accueille sept œuvres vidéo présentées par des exposants de la foire, une extension inédite de celle-ci hors les murs.
Réputée pour être une foire dont la dynamique repose d’abord sur les achats institutionnels, et le « networking », avec un rythme plutôt lent, le démarrage de la foire a cette année pourtant été marqué par un certain nombre de transactions. La galerie mor charpentier a conclu de nombreuses ventes avec des Allemands, des Suisses, des Autrichiens, des Espagnols et même un Bulgare ! « Nous avons fait en une journée, le jour d’ouverture, ce que nous avons fait l’an dernier en une semaine », confie Alex Mor. Sur son stand consacré aux dévastations de la nature, le Castello di Rivoli a notamment acheté cinq jarres de Rossella Biscotti faites à partir des cendres d’oliviers anciens attaqués par une bactérie dans les Pouilles, à 6 000 euros pièce. Une autre institution en a acquis d’autres. L’enseigne a cédé notamment des œuvres de Nohemi Pérez ou de Teresa Margolles. « Nous avons été surpris par cette rapidité, inhabituelle, explique Alex Mor. Le public est meilleur, les invités ont été écrémés, c’est plus VIP. Le format un peu plus petit de la foire permet d’échanger plus longtemps avec les visiteurs ».
Dans un registre plus historique, la galerie East (Strasbourg) peut se féliciter. Cette jeune enseigne ouverte il y a un an a fait mouche pour sa première participation à une foire avec son solo show dédié à Wolf Vostell, pionnier de Fluxus disparu en 1998, au sein du secteur Back to the Future. Un artiste « qui inspire beaucoup de jeunes artistes et qui a eu de nombreux projets en Italie », précise le galeriste. Une pièce de 1972 faisant allusion aux attentats des J.O. de Munich, proposée pour 28 000 euros, a été acquise par un collectionneur américain du Wyoming concentré sur la contre-culture, via son conseiller venu à la foire. Chez Art : Concept, l’installation poétique de coquillages en porcelaine faits à la main de Kate Newby, montrée au Palais de Tokyo au printemps dernier dans « Réclamer la terre », attendait preneur cet après-midi, mais une plaque de la même artiste a été acquise par une institution italienne. Un cru qui s’annonce prometteur.
Artissima, jusqu'au 6 novembre 2022, Oval Lingotto, Turin, Italie.