Le peintre Hervé Télémaque s’est éteint le 10 novembre, à l’âge de 85 ans, dans un hôpital de la région parisienne. Né à Port-au-Prince le 5 novembre 1937, issu de la bourgeoisie francophone et lettrée, il quitte l’île des Caraïbes pour New York en 1957, année de l’accès au pouvoir de François Duvalier, surnommé « Papa Doc », qui ne tarde pas à mettre en place un régime corrompu et autoritaire, soutenu par des milices privées, les « tontons macoutes », jusqu’à la disparition du président à vie en 1971.
Étudiant à l’Art Student’s League, Hervé Télémaque découvre l'expressionnisme abstrait américain qui domine alors la scène artistique new-yorkaise, et notamment le peintre Arshile Gorky. Métis, il n’en subit pas moins le racisme ambiant et quitte Manhattan en 1961 pour Paris, où il s’installe, puis en Bourgogne et à Villejuif à partir du début des années 1980. À son arrivée sur les bords de Seine, il reçoit l’onction des surréalistes, et avec l’aide d’André Breton, présente ses premières expositions. En 1964, ses peintures sont accrochées sur les cimaises de « Mythologies quotidiennes » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, organisée par le critique d’art et éditeur Gérald Gassiot-Talabot.
Associé à la Figuration Narrative aux côtés de Peter Klasen, Jacques Monory ou Bernard Rancillac, le travail d’Hervé Télémaque sera consacré par une première grande rétrospective au Musée national d’art moderne de la Ville de Paris en 1976. Sa peinture est marquée par des influences pop, des médias, de la bande dessinée et de la publicité. Elle l’est également par les paysages et la culture d’Haïti avec lesquels le peintre, naturalisé français en 1985, n’a jamais rompu. En 1986, il participe à la IIe Biennale de La Havane, à Cuba. À partir des années 1990, l’africanité croissante dans son œuvre fait écho à ses origines. L’Electrical workshop lui consacre une rétrospective en 1997 à Johannesburg, en Afrique du Sud. En 1998, il dessine le timbre-poste français commémoratif du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Héraut du dialogue entre les cultures, Hervé Télémaque multiplie les voyages en Afrique, qui se retrouve dans ses toiles, à l’image de la série à l'acrylique Trottoirs d'Afrique, réalisée en 2001.
En 2014-2015, son travail au long de quelque soixante ans de carrière est mis à l’honneur dans l’exposition « Haïti, deux siècles de création artistique » au Grand Palais ainsi qu’au Centre Pompidou, qui lui consacre une grande rétrospective. Dans un entretien au journal Le Monde, il déclare alors : « C'est grâce à [Arshile Gorky] que j'ai compris qu'il me fallait aller vers un art plus complexe que l'expressionnisme abstrait de Pollock ou De Kooning qui dominait alors. Car, en fait, je n'ai rien à voir avec l'art abstrait. Je serais plutôt du côté du cubisme. » Avant de conclure, parlant de ses « fictions » : « Toujours les mêmes depuis le début : la politique et la sexualité. J'ai autant de comptes à régler avec l'état du monde qu'avec le mystère de la sexualité. Je veux comprendre ce qui nous entoure et ne pas m'arrêter à des questions stupides de beauté. En ce sens, ça m'amuse beaucoup d'être exposé à Beaubourg en même temps que Jeff Koons, qui célèbre la beauté middle class américaine. » Certaines de ses toiles figurent dans l’exposition « Paris et nulle part ailleurs », actuellement au Palais de la Porte-Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris.
« Avec Hervé Télémaque disparaît l'un des artistes les plus originaux de ces dernières décennies, dont le style toujours renouvelé, résolument actuel depuis la Figuration Narrative des années 1960 à ses toiles plus récentes, interrogeait souvent avec ironie l’actualité française », a rendu hommage Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, dans un communiqué.