Le Portugal régna pendant des siècles glorieux sur les mers du monde. Et l’un des mots favoris que les navigateurs-explorateurs ambitionnaient de crier n’était autre que le fameux… « Terre ! » Ce terme est précisément le thème qu’a choisi la 6e Triennale d’architecture de Lisbonne. Et ce « nouveau » continent sur lequel les architectes tentent aujourd’hui de réaccoster avec, semble-t-il, de meilleures intentions quant à l’urgence climatique et au développement durable, est tout simplement le leur, donc le nôtre : la planète Terre. Décliné en préambule, un constat résume ses maux à un amer cocktail mêlant « épuisement des ressources, inégalités socioéconomiques et changements climatiques », le tout s’entrelaçant à différentes échelles. Pis, la présentation « Retroactive » logée au Museu de Arte, Arquitetura e Tecnologia (MAAT), qui enfonce, au passage, quelques portes ouvertes à grand renfort de hashtags – #migration, #propriétéfoncière, #surpeuplement, #déchets, #eau, #assainissement, #vulnérabilité géologique, #violence, #mobilités –, finit tout bonnement par nous filer le bourdon. Heureusement, de la multitude de projets que rassemble cette Triennale 2022 – un tri s’impose évidemment – sourdent quelques lueurs d’espoir.
LE REMPLOI DE MATÉRIAUX
Au début étaient les matériaux. Et à la fin aussi désormais. Tel est le propos de la vaste exposition « Cycles », installée à Garagem Sul, dans le Centro cultural de Belém (CCB). Jadis, on ne se préoccupait guère de la provenance des matériaux, moins encore de leur fin de vie. Tout change. Au populaire recyclage – l’agence belge BC Architects transforme les déchets de matériaux de construction en enduits d’argile et autres pisés aux nuances d’un bel effet – se substituent dorénavant des étapes supplémentaires, tant en amont qu’en aval du chantier ou de la démolition. À commencer par le remploi d’éléments de construction démantelés (Ruinorama Collective, Brésil; Bellastock, France) pour lequel émerge une nouvelle problématique : celle du… sto-kage. Mieux : on parle même de « re-construction ». Ainsi, à l’instar d’un jeu de Meccano, le groupe ReCreate, fondé par des architectes allemands, finlandais, suédois et néerlandais, démonte « chirurgicalement » un bâtiment désaffecté afin d’en récupérer les éléments en béton préfabriqués intacts et les remployer pour un nouvel édifice (Donor Building). Résultat : une diminution de l’empreinte carbone de 93 % à 98 %. Maquettes et vidéos explicitent cet étonnant projet, qui a décroché un financement du programme pour la recherche et l’innovation Horizon 2020 de
l’Union européenne.
En architecture comme ailleurs, pour faire avancer les choses, l’attente d’une décision politique de grande ampleur n’est plus de mise. L’action doit se contenter d’un petit rayon, sinon d’une échelle minuscule, sans que la créativité en pâtisse, comme le montre une majorité des propositions déployées sur tous les sites, dont le Museu Nacional de Arte Contemporânea do Chiado (MNAC) ou le centre culturel Culturgest. Les projets collaboratifs ou impliquant les communautés sont légion. À Haïti, le cabinet londonien EVA Studio a livré une piazza contemporaine au sommet d’une favela. À Berlin, l’aéroport abandonné de Tempelhof a d’abord servi de refuge pour les migrants avant de devenir un parc public apprécié. Dans un bidonville de Kibera, au Kenya, un réseau de distribution d’eau connecté à un château d’eau étend ses tuyaux dans l’air et non au sol afin d’éviter tout risque de contamination.
L’ÉCHELLE DE L’INTIME
En ces temps troublés, où trouver la sérénité ? Peut-être dans ces « demeures introverties » du Japonais Tomoaki Uno – maison Takamine-cho, maison Ryusenji, maison Ogimachi –, qui collent au plus près aux désirs de ses clients : un « refuge pour écrire » destiné à un professeur d’université; un lieu pour une famille dont les membres géographiquement séparés ont décidé d’habiter de nouveau ensemble; un espace demandé par un fils pour sa mère malade, etc., tous générateurs d’une humilité domestique de bon aloi. L’agence espagnole Ensamble Studio enfouit, quant à elle, une habitation dans des grottes (Ca’n Terra), au cœur d’un paysage rocheux de Minorque. Retraite assurée !
doit se contenter d’un petit rayon sans que la créativité en pâtisse.
Si l’on réduit encore l’échelle du projet, on touche cette fois à l’intime. Ainsi de cette infrastructure baptisée Run Run Run de l’Espagnol Andrés Jaque, implantée en pleine rue à Madrid et voulue notamment par un collectif de joggers afin qu’ils puissent se doucher avant de se rendre au bureau. Inspiré par les Jeux paralympiques de Tokyo en 2020, le projet Tokyo Toilet a convié la crème des architectes nippons (Toyo Ito, Kengo Kuma, Shigeru Ban, Tadao Ando…) à créer des toilettes publiques contemporaines, que d’aucuns espèrent un jour voir « saluées » de leur plume par les poètes et les écrivains comme le furent jadis les vespasiennes.
Lors de la remise des prix de la Triennale, le 30 septembre 2022, à l’Academia das Ciências de Lisbonne, la jeune agence pauliste Vão (Brésil), lauréate du prix Début, a dévoilé les images d’une maison construite avec 12000 parpaings empilés sans aucun mortier. Surface habitable : 75 m2. Surface de murs : 75 m2. Démontable à l’envi !
D’ici à 2025, des prévisions indiquent que 70 % de la population mondiale habiteront en ville. Dès lors, où trouver de la surface constructible en centre-ville ? Sous les bâtiments existants, comme l’a proposé à la municipalité d’Eindhoven le fantasque Néerlandais Winy Maas, patron de l’agence MVRDV. Son projet consiste à surélever de 25 mètres l’église Sainte-Catherine pour y insérer un programme mixte (musée, logements, résidences pour étudiants, etc.). Le budget, paraît-il, ne serait pas si « élevé » que cela. Si le projet voit le jour, la date d’inauguration est déjà toute trouvée : le jour de l’Ascension.
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« TERRA », 6e Triennale d’architecture de Lisbonne, 29 septembre-5 décembre 2022, plusieurs lieux à Lisbonne, dont :
Culturgest (jusqu’au 4 décembre),
MAAT (jusqu’au 5 décembre),
MNAC (jusqu’au 8 janvier 2023),
CCB (jusqu’au 12 février 2023).