L’idée n’est peut-être pas neuve, puisque de nombreux professeurs et directeurs d’écoles d’art se souviennent avoir participé, au cours des années 2000, à diverses rencontres réunissant des écoles d’art du Bassin méditerranéen. Mohamed Guiga, qui dirige l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis, en Tunisie, garde en mémoire des événements fondateurs à Bologne ou à Alger. « Notre école, qui célébrera son centenaire en 2023, a organisé dans les années 1990 ces rencontres auxquelles j’ai d’abord participé en tant qu’enseignant. La Biennale des écoles d’art de la Méditerranée (Beam) est une reprise heureuse de cette manifestation. » Mehdi Zouak, actuel directeur de l’Institut national des beaux-arts de Tétouan (Inba), à l’initiative de ce nouvel événement qui s’est déroulé à Tétouan du 21 au 27 novembre 2022, se souvient quant à lui de l’édition algéroise, à laquelle il a pris part en tant que directeur d’études.
CRÉER DES SYNERGIES
En ces temps où les relations continuent de se tendre sur le plan géopolitique, avoir l’ambition de « rapprocher tous les peuples de la Méditerranée » n’est sans doute pas vain. « Mare nostrum, commente Mehdi Zouak, ce peut être aussi un espace de partage, de codéveloppement. Je pense que l’art et la culture sont à même de jouer un rôle fondamental dans le rapprochement des peuples et des pays, malgré les querelles et les intérêts socio-économiques divergents. »
Pour cette édition au format réduit, une dizaine d’écoles, situées à Lisbonne, Alexandrie, Athènes, Tunis, Séville, Casablanca, Abidjan, Arles et Marseille, ont répondu à l’appel à projets lancé au printemps 2022 par l’Inba. Un programme de rencontres et de workshops autour de la gravure, de la photographie, du design, de la création numérique et de « la géométrie comme support commun » a ensuite donné lieu à des restitutions ouvertes au public. En février à Tétouan, puis en octobre à Marseille, un workshop autour des métiers du cuir a inauguré un espace d’échanges amené à s’amplifier. Récemment classée sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, la tannerie de Tétouan, qui fonctionne de manière traditionnelle en appliquant des méthodes de tannage 100% végétales, avait désigné deux tanneurs salariés pour accompagner les étudiants dans leur travail. Le volet retour à Marseille a été organisé en parallèle de la 37e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires qui s’est déroulé à la Villa Noailles, à Hyères.
L’AXE MARSEILLE-TÉTOUAN
La relation privilégiée existant entre l’Institut national supérieur d’en-seignement artistique Marseille-Méditerranée et l’Inba de Tétouan a sans doute favorisé la tenue de cette Biennale. Responsable de la stratégie internationale des Beaux-Arts de Marseille, Anaïs Déléage met en avant les difficultés que rencontrent souvent les diplômés des écoles d’art du sud de la France pour trouver l’élan nécessaire au lancement de leur carrière et pour se constituer un réseau pérenne.
« C’est pourquoi nous avons créé, en janvier 2022, Miramar, [un réseau méditerranéen d’acteurs académiques, artistiques et culturels] qui vise à soutenir les jeunes artistes. L’objectif est de travailler non seulement avec les écoles d’art, mais aussi avec les principaux acteurs culturels de la région. » Des premiers contacts ont été noués avec des espaces d’art tels que Le 18 à Marrakech, Les Ateliers Sauvages à Alger, la Temporary Art Platform à Beyrouth, et avec l’association Beaux-Arts Solidarité Maroc qui entend faciliter la professionnalisation des jeunes artistes.
Autre partenaire privilégié de cette édition, l’Institut français du Maroc a participé à la mise en place du premier espace de création numérique à Tétouan, le Lab Digital Maroc. Ce laboratoire organise depuis quatre ans des appels à projets relatifs aux arts numériques, qui sont ouverts à toute personne résidant au Maroc et porteuse d’un « projet innovant » en ce domaine. Deuxième lauréate de ce programme, Zineb Sekkat, diplômée de l’École nationale d’architecture de Rabat, a ainsi pu bénéficier d’une résidence de dix jours au lieu de création et de diffusion Stereolux, à Nantes. Elle y a conçu, avec le collectif WHAM dont elle est membre, l’installation interactive Surveillé(e) qui, selon ses termes, « interroge le sujet et l’expérience de la surveillance ». Le public a pu en voir la concrétisation lors de la Biennale.
Quel avenir pour la Beam ? S’il est probablement trop tôt pour répondre à cette question, ce projet est inséparable de l’ambition de développer au Maroc plusieurs antennes des Beaux-Arts, dans les villes de Rabat, Oujda, Fès et Agadir. « Nous envisageons également d’ouvrir en 2023 une école doctorale », ajoute Mehdi Zouak, qui ne cache pas son désir de voir se développer à l’avenir des systèmes d’équivalence pédagogique entre écoles d’art et une mobilité plus importante des étudiants. Quant à l’hypothèse de rendre itinérante la Biennale des écoles d’art – ce qu’en coulisse, certains appellent déjà de leurs vœux –, le sujet n’est, pour le moment, pas à l’ordre du jour.