Peut-on toucher à un chef-d’œuvre de l’architecture du XXe siècle ? C’est la question que s’est d’emblée posée l’architecte Silvio d’Ascia lorsqu’il ébaucha sa première esquisse pour l’agrandissement de la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, dans les Alpes-Maritimes, l’une des réalisations les plus emblématiques de l’architecte espagnol Josep Lluís Sert (1902-1983). Cette extension, dont le chantier a débuté le 14 novembre 2022, devrait être inaugurée en juillet 2024, à l’occasion du 60e anniversaire de l’institution.
Avant Silvio d’Ascia et à la demande expresse d’Aimé Maeght, commanditaire du lieu, Josep Lluís Sert lui-même fit une proposition d’agrandissement. C’était il y a… un demi-siècle. « À l’origine, en 1964, raconte Nicolas Gitton, directeur administratif et financier de la Fondation, Marguerite et Aimé Maeght ne comptaient pas ouvrir le lieu au public. Ils souhaitaient en faire uniquement une résidence pour artistes et y exposer des pièces de leur collection pour leur propre plaisir et celui de leurs amis. Or, dès l’année suivante, un public curieux a afflué et Marguerite a décidé d’ouvrir un café et une billetterie. En réalité, le sentiment d’avoir vu trop petit s’est forgé dès le début. » C’est pourquoi Aimé Maeght (1906-1981) s’était, dès 1973, de nouveau tourné vers son architecte fétiche. Josep Lluís Sert dessina un édifice à l’esthétique jumelle, avec briquettes et béton blanc, dont une maquette est conservée dans les archives de la Fondation. Commande est également passée à Diego Giacometti de « fondre » des poignées de porte ainsi que des luminaires. Les unes et les autres ont été fabriqués et sont toujours stockés dans les réserves. Mais les choses traînent en longueur, et une résidence privée s’installe sur le terrain convoité. Aimé Maeght tombe malade et meurt en 1981, suivi, deux ans plus tard, par Josep Lluís Sert. Leur projet ne verra jamais le jour. Au début des années 2010, par le biais du conseil d’administration de la Fondation – dont le président, depuis quatre décennies, n’est autre qu’ Adrien Maeght, le fils d’Aimé et de Marguerite, âgé aujourd’hui de 92 ans –, l’idée d’agrandissement refait surface. Silvio d’Ascia, qui, à l’époque, est responsable des travaux de rénovation d’urgence et de la mise en conformité du réseau électrique, se plie, par plaisir, à l’exercice, logeant, avec hardiesse, ladite extension sous le bâtiment actuel. Son croquis restera dans les cartons.
NÉCESSAIRE EXTENSION
À son arrivée en 2018, Nicolas Gitton effectue un sondage auprès du public, en particulier sur la fréquentation des expositions temporaires. Verdict : un taux de satisfaction très bas. « Seuls 20 % des visiteurs venaient pour l’exposition temporaire, les autres voulaient voir la collection permanente, Joan Miró, Georges Braque, Marc Chagall… et repartaient déçus, observe le directeur de la Fondation. Or, avec une surface de 850 m2, nous ne pouvons pas proposer deux présentations – l’une temporaire, l’autre permanente – de qualité. Pour ne pas perdre 80 % de nos visiteurs, l’urgence d’un agrandissement s’est imposée. Nous avons aussitôt réamorcé le projet et lancé une campagne de levée de fonds.» Il est vrai que la collection a de quoi faire pâlir d’envie : quelque 13 000 pièces, dont 6 000 gravures, 3 000 dessins, 1000 peintures et sculptures, 2000 livres d’artistes, etc., comprenant moult chefs-d’œuvre. En parallèle de la recherche de fonds a lieu une consultation avec plusieurs architectes, dont certains renommés, paraît-il (les noms n’ont pas été divulgués). « Beaucoup ont dessiné une sorte de “vaisseau spatial” », se souvient Nicolas Gitton. Sauf Silvio d’Ascia qui, convié également, ressuscite ses ambitions souterraines, lesquelles remportent la mise. « Son projet s’intégrait à merveille, tout en étant complètement contemporain », résume le directeur. C’est-à-dire qu’il ne « jure » pas avec l’existant. « L’idée, explique l’impétrant, est de respecter le bâtiment de Josep Lluís Sert dans son intégralité. C’est un équilibre parfait entre l’architecture et la nature, le dedans et le dehors, un vrai lieu d’émotion. Construire un édifice à côté aurait brisé cette harmonie. » Et l’architecte de poursuivre : « En consultant des photographies d’archives, j’ai vu que les cours Giacometti, la grande, et Miró, la petite, avaient été érigées sur des remblais maintenus par des murs de soutènement de quatre mètres de haut. Le volume de ces remblais correspondait précisément à celui dont nous avions besoin pour réaliser l’extension, d’où notre proposition de la faire sous terre, et non en surface. Cet agrandissement de 500 m2 de la surface d’exposition, soit près de 60 % de plus qu’actuellement, se fait sans rien modifier du bâtiment d’origine. » Concrètement, les deux murs de soutènement au sud-ouest ont été ouverts pour retirer la terre remblayée et lui substituer deux parallélépipèdes minimalistes en béton beige qui viendront s’insérer, telles des boîtes, sous les cours Giacometti et Miró. Ces deux salles s’ouvriront sur la pinède alentour grâce à de monumentales baies vitrées, soit, pour la plus grande salle, 14 mètres de long et 3,20 mètres de haut. Rétractables dans une niche prévue à cet effet, des brise-soleil verticaux en béton fibré pourront moduler la lumière naturelle. Une galerie (44 m2 ), faisant aussi office d’espace d’exposition, reliera la grande salle (390 m2) à la petite (66 m2). Les murs seront habillés d’un enduit blanc, façon white box, et les sols de travertin, petit clin d’œil à la passerelle d’entrée de la Fondation. « Il nous fallait dialoguer avec l’histoire du lieu sans la singer et pour la prolonger, souligne Silvio d’Ascia. D’aucuns auraient sans doute préféré un “Guggenheim-Bilbao”, nous pensions, au contraire, qu’il ne fallait rien ajouter en termes de signes. Ces parallélépipèdes réguliers, deux formes pures qui se différencient de l’architecture existante, permettent de transformer suffisamment le site, tout en restant les plus discrets possible. »
RÉHABILITATION COMPLÈTE
Le budget des travaux est de 4 millions d’euros. « Le montant se répartit comme suit : Région, Département et État, 1,5 million d’euros, à parts égales ; Adrien Maeght, 500 000 euros ; un grand donateur principal, le groupe Dassault, 1 million d’euros [Laurent Dassault, fils de Serge Dassault, est entré au conseil d’administration de la Fondation en septembre 2021, et la nouvelle grande salle portera le prénom de sa mère, Nicole]; dix mécènes individuels, des Anglo-Saxons amoureux de la Fondation et des habitants des environs, 500 000 euros ; l’entreprise de BTP Triverio Construction, filiale de Vinci Construction, 150 000 euros ; la Société des Amis de la Fondation, 65 000 euros; enfin, le groupe Saint Gobain, 20 000 euros, détaille Nicolas Gitton. À ce jour, nous avons rassemblé plus de 90 % du budget, d’où le lancement des travaux. Il ne reste plus qu’à trouver le solde, mais nous bouclerons sans problème, je n’en ai aucun doute. La Fondation jouit d’un énorme capital d’amour. »
L’institution profite de cette période de chantier pour réviser entièrement son patrimoine construit, devenu une « passoire thermique». Au programme, entre autres, la réhabilitation de la façade latérale, la rénovation de la cafétéria, la pose de double vitrage et d’un éclairage LED, l’installation d’accès pour le public à mobilité réduite, etc. Le gros œuvre de l’agrandissement devrait être achevé à l’été 2023 pour la réouverture, annoncée le 1er juillet, de la partie ancienne de la Fondation. L’exposition temporaire sera consacrée au peintre Jean Paul Riopelle. Il restera un an pour réaliser les travaux intérieurs de la partie nouvelle ainsi que les finitions. L’ouverture complète de cette Fondation Maeght « augmentée » est prévue le 1er juillet 2024.
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Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence.