Créateur protéiforme emblématique de la scène artistique canadienne, pionnier du cinéma d’avant-garde, Michael Snow s’est éteint le 5 janvier 2023 à Toronto (Ontario), sa ville natale, à l’âge de 94 ans. Inclassable, sa carrière s’étend sur plus de huit décennies. Son intérêt s’est porté autant sur la photographie, la vidéo, le cinéma, l’installation et la musique que la peinture, la gravure ou la sculpture. « Mes peintures sont réalisées par un cinéaste, mes sculptures par un musicien, mes films par un peintre, ma musique par un cinéaste, mes peintures par un sculpteur, mes sculptures par un cinéaste, mes films par un musicien, ma musique par un sculpteur. Parfois, ils travaillent tous ensemble », écrivait-il en 1967 dans le catalogue de l’exposition collective « Statements / 18 Canadian Artists », à la MacKenzie Art Gallery de Regina (Saskatchewan, Canada). Le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, conserve aujourd’hui quelque 75 œuvres de l’artiste dans ses collections.
Né en 1928, Michael Snow a étudié à l’Upper Canada College, puis au Toronto College of Art. À 20 ans, il gagne sa vie comme pianiste de jazz la nuit et peint le jour. En 1961, il part s’installer à New York avec sa femme, l’artiste Joyce Wieland. Il s’y lie d’amitié avec le cinéaste expérimental Jonas Mekas et le compositeur Steve Reich.
Sa pièce la plus emblématique reste sans conteste son film Wavelength, créé en 1967. Ce chef-d’œuvre, couronné à sa sortie par le Grand Prix du Festival du film expérimental de Knokke-le-Zoute, en Belgique, forge sa légende. Sur fond de gémissement monotone de plus en plus aigu, la caméra zoome durant 45 minutes, avec une lenteur extrême, d’un plan large d’une pièce presque vide à une photographie représentant la mer sur un mur. Une expérience pour le moins radicale. « Dans les cinémas qui ont osé le montrer, le film a provoqué des départs massifs et, dans quelques cas rapportés, des bagarres, rappelle Murray Whyte dans le Toronto Star. Le critique Manny Farber, dans le magazine ArtForum, l’a qualifié de Naissance d’une nation du cinéma expérimental, ce qui n’était peut-être pas un compliment. Malgré ou à cause de tout cela – un peu des deux, je suppose – il est devenu une icône, un totem d’une nouvelle génération de cinéastes "structuralistes" pour qui le médium lui-même – ses défauts, ses manipulations, ses tromperies et parfois ses tortures – était son propre sujet. »
« Snow était indéniablement une légende, poursuit Whyte. Au début des années 1960, il a réalisé des sculptures abstraites modulaires à partir de matériaux utilisés dans son atelier de New York, avant même que le terme "minimalisme" ne soit prononcé ; il a fait réparer ses tuyaux et brancher l’électricité dans son loft illégal de Tribeca par deux bricoleurs de l’époque, Richard Serra et Philip Glass. Il s’est imposé comme un maestro du piano jazz improvisé pendant des décennies. Sa silhouette emblématique, Walking Woman, était une forme fondatrice de l’art conceptuel de base de l’artiste multiple ; le fait qu’il l’ait installée partout et n’importe où en a également fait un élément pionnier de l’idée d’intervention publique – l’art, inattendu, vous donnant la chance de voir le même vieil endroit d’une nouvelle manière. »
Après Wavelength, repoussant sans cesse les limites du cinéma expérimental, Michael Snow tourne Back and Forth (1969) et La Région Centrale (1971), un hymne aux paysages de la Côte-Nord du Québec à travers l’objectif d’une caméra effectuant des mouvements dans toutes les directions. Le film « remet en question nos perceptions, nos habitudes mentales, par bien des côtés rend caduc le cinéma existant », s’enthousiasmera un critique du Monde.
Parallèlement à ses films, il s’intéresse au livre d’artiste, enregistre un album trompeur, The Last LP (1987). Présenté comme des enregistrements sur le terrain de musiques ethniques en voie de disparition, il s’agit en réalité de fragments multipistes composés et interprétés par l’artiste. Michael Snow a en outre signé plusieurs œuvres dans l’espace public à Toronto : Flight Stop (1979), un vol d’oies en fibre de verre dans le Toronto Eaton Centre ; The Audience (1989), un groupe de sculptures grandeur nature de personnes au stade Centre Rogers ; et The Windows Suite (2006), une série d’écrans plasma dans un hôtel du centre-ville montrant des séquences « impossibles ».
Considéré par beaucoup comme l’artiste d’après-guerre le plus important du Canada, Michael Snow a bénéficié de rétrospectives dans de multiples lieux à Toronto et au British Film Institute. En 1976, il est devenu le premier Canadien à avoir une exposition personnelle au Museum of Modern Art de Manhattan. À la fin des années 1970, une rétrospective préparée par le Musée des beaux-arts du Canada a fait le tour de musées de Paris, Rotterdam, Bonn, Munich et Lucerne. Ses œuvres ont été incluses dans les expositions de réouverture du Centre Pompidou, à Paris, en 2000, et du Museum of Modern Art, à New York, en 2005. En France, il a bénéficié d’expositions personnelles en 1998 à la Ferme du Buisson, à Noisiel, et au Centre culturel canadien à Paris ; et en 2011 au Fresnoy, à Tourcoing. Récemment, une exposition parisienne lui a été consacrée à la galerie Martine Aboucaya. En parallèle, le cinéma Le Grand Action et l'Institut national d'histoire de l'art, en partenariat avec le Centre culturel canadien, ont présenté une rétrospective d'une vingtaine de ses films, réalisés de 1956 jusqu'à 2019.