On ne va pas se mentir : à Genève, le quartier des Bains prend un peu l’eau. Les fermetures presque simultanées des galeries Laurence Bernard et Joy de Rouvre en 2021 ont miné le moral des troupes. Il faut dire qu’il y a dix ans, l’endroit représentait le poumon commercial genevois de l’art contemporain. À chaque vernissage organisé en commun, la foule remplissait les rues. On tenait même les galeries pour responsables de l’augmentation des prix de l’immobilier dans le quartier. Pierre Huber, Edward Mitterrand et Marc Blondeau ont l’un après l’autre tiré leur révérence. On doit désormais compter avec les folles énergies de Pierre Geneston chez Xippas, de Barth Johnson à la Wilde Gallery, de Pierre-Henri Jaccaud chez Skopia et de Karin Handlbauer à la galerie Mezzanin pour entretenir la flamme. C’est dans ce contexte un peu déprimant que deux galeries ont malgré tout ouvert leurs portes à la fin de l’année 2022. La première, celle de Balthazar Lovay, ancien directeur de la Kunsthalle Friart Fribourg, cherche encore sa place aux Bains. Pour l’heure, le commissaire d’exposition devenu galeriste expose en nomade des œuvres exigeantes d’artistes peu connus qu’il entend bien faire découvrir. La seconde impose une autre stature. Elle appartient à Olivier Varenne, fils de Daniel (grand marchand d’art qui organisait ses expositions dans un bel appartement, à l’étage d’un immeuble de la rue Rodolphe-Toepffer en Vieille-Ville), mais surtout directeur artistique depuis dix-sept ans du Museum of Old and New Art (MONA) fondé à Hobart, en Tasmanie, par le collectionneur David Walsh.
UN LIEU DE PASSAGE
Depuis novembre 2022, le Genevois loue deux espaces distincts, jadis occupés par le Cabinet PH de Pierre Huber, puis par la galeriste Laurence Bernard : l’un dédié aux œuvres du premier marché, l’autre à celles du second. Jusqu’au 25 janvier 2023, on peut découvrir dans chacun des lieux, d’une part, une exposition d’artistes suisses (Sylvie Fleury, Ben, Roman Signer, Jonathan Delachaux, John M Armleder et Jean Tinguely) et, d’autre part, un accrochage de dessins à l’encre de Gregory Masurovsky, artiste new-yorkais admiré par Andy Warhol, David Hockney et Yves Saint Laurent mais aujourd’hui totalement oublié. « Il n’a pas de marché. Son fils vendait ses dessins sur Internet. J’aurais pu les garder pour moi, mais je préfère les voir circuler», explique Olivier Varenne. Pour ce faire, les œuvres s’affichent à prix tout doux : « 5000 francs suisses [5070 euros]. Ce choix se fait aussi dans l’idée que ce travail incroyable puisse enfin être reconnu à sa juste valeur », poursuit le galeriste, qui avait déjà envisagé de s’installer dans le quartier en 2017. « Je voulais créer ici une succursale commerciale du MONA, mais, finalement, ça ne s’est pas fait. Je venais d’acheter un appartement et je me suis dit que je pourrais tout piloter depuis celui-ci.» La force de la tradition familiale sans doute ? « Dans la galerie de mon père, il n’y avait pas vraiment de passage. Il fallait savoir quand il organisait des expositions. Lorsque vous êtes marchand en étage, les gens viennent une ou deux fois. Ici, il y a toujours du monde qui passe, s’arrête, regarde la vitrine, entre ou pas. Pour moi, dont la clientèle se trouve plutôt en Asie et dans les Émirats, cette nouvelle proximité crée du contact local. J’organiserai deux ou trois expositions par an, tout en gérant The Little Art Window, ma galerie vitrine à Gstaad.» Mais pourquoi avoir choisi Genève plutôt que Zurich, où se concentre la majeure partie du marché de l’art en Suisse ? « Parce que j’ai grandi ici. Certes, Gagosian n’a plus qu’un bureau en ville, mais Pace fonctionne très bien. Et puis, il y a le MAMCO [musée d’Art moderne et contemporain] et le Centre d’art contemporain Genève, deux lieux que j’adore. Enfin, cette ville reste une plateforme gigantesque grâce à son port franc qui représente le cœur mondial de l’art. Il y a donc du passage. » Et des opportunités.
ART ET ARTISTES D’ENVERGURE
Dans l’écurie du marchand se trouvent nombre de poids lourds, notamment Christo qu’Olivier Varenne expose régulièrement. « Ce sera mon prochain accrochage thématique, ce que Christo ne faisait jamais de son vivant, puisqu’il présentait uniquement les éléments des œuvres qu’il cherchait à produire afin de les financer. Je montrerai tout son travail avec les arbres, des Champs-Élysées [à Paris] à la Fondation Beyeler [à Riehen]. » Regroupés sous l’intitulé « Wrapped Trees », certains de ces travaux seront visibles sur le stand du galeriste pendant artgenève, du 26 au 29 janvier 2023. « J’apprécie les expositions qui ont un point de vue. Pour tout dire, je ne voulais pas être marchand mais commissaire d’exposition, car je trouvais trop difficile de vendre une œuvre, c’est-à-dire de m’en séparer. En 2021, lors de ma première participation à artgenève, j’ai vendu une collection de Hans Bellmer qui m’appartenait. Raphaël, mon collaborateur, a dû me forcer pour que j’envoie la facture. Cela dit, c’est quand même très excitant de chasser des pièces rares.» Comme le Flying Dragon d’Alexander Calder, gigantesque sculpture de 17 mètres d’envergure qu’il s’est agi de transporter de la place Vendôme, à Paris, jusqu’au fin fond d’un désert australien. « Il a déjà fallu convaincre son propriétaire de le vendre. Nous avons conclu un partenariat avec Gagosian pour nous épauler dans l’affaire. Ensuite, nous nous sommes occupés de la logistique pour déplacer cette sculpture hors normes. On était en pleine pandémie, et l’Australie était complètement verrouillée. Nous avons dû ruser. Cette tractation nous a pris deux ans !», se remémore le marchand. Les pièces de grande taille et les collaborations avec les artistes sont l’autre partie du travail d’Olivier Varenne. «Afin d’éviter toute forme de conflits d’intérêts avec le MONA, je propose à celui-ci beaucoup d’œuvres in situ. En ce moment, Anselm Kiefer y construit un auditorium de 20 mètres de hauteur sur 30 mètres de longueur et de largeur. C’est la première fois qu’il exploite ses talents d’architecte.»
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« Swiss Artists : Armleder, Ben, Delachaux, Fleury, Signer, Tinguely » et «Gregory Masurovsky Drawings », 22 novembre 2022-25 janvier 2023, Olivier Varenne, 37-39, rue des Bains, 1205 Genève.
« Christo, Wrapped Trees », 26-29 janvier 2023, artgeneve 2023, Palexpo, 30, route François-Peyrot, 1218 Le Grand-Saconnex.