C’est une exposition intimiste mais percutante qui attend jusqu'au 29 janvier 2023 le visiteur au Bicolore, l’espace culturel de la Maison du Danemark à Paris. En quelques œuvres phares, elle résume les grandes étapes de la carrière de SUPERFLEX, collectif d’artistes danois fondé en 1993 par Jakob Fenger, Bjørnstjerne Christiansen et Rasmus Rosengren Nielsen, trois visionnaires qui ont lié leur destin pendant leurs études à l’académie royale des beaux-arts de Copenhague. Contrastant avec une scénographie minimale et sans esbroufe toute scandinave, leur exposition ouvre pourtant sur des enjeux immenses… Il est vivement conseillé de se munir du livret de visite, en l’absence d’explications.
Dès le départ, le groupe s’est constitué comme une structure innovante, souple et en phase avec les problématiques de la société. Son nom explicite est à lui tout seul un programme. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes, dont les fondateurs, travaillent dans une ancienne centrale électrique de la capitale danoise. « Nous sommes hybrides, à la fois un groupe de travail entre nous et de collaboration, confie Jakob Fenger dans leur atelier du quartier de Nørrebro. La collaboration est la clé de notre démarche. C’est très important pour nous d’inclure des gens qui ne viennent pas du monde de l’art, tels des ingénieurs, des anthropologues, des biologistes… ».
Dans l’un de ses premiers projets, illustré ici par d’historiques diapositives, le groupe a planché dès 1996 avec des spécialistes notamment de Cambridge sur une unité locale de production de biogaz, baptisée Supergas. L’œuvre, mise en pratique en particulier en Tanzanie, au Cambodge ou au Mexique, se voulait « un outil pour les énergies renouvelables du futur », précise Jakob Fenger. Un modèle qui s’est depuis répandu, notamment dans les récents plans d’urbanisme de Copenhague ou du Grand Paris. Déjà, le réchauffement climatique était au centre de leurs préoccupations. Les œuvres du groupe « illustrent trois approches différentes du changement climatique : technocentrée, anthropocentrée, écocentrée », résume Rebecca Helewa Graversen, coordinatrice de l’exposition.
Derrière le sérieux de leur engagement et de leur discours, le trio ne manque pas d’une pointe d’humour. Ainsi, dans la banlieue de Copenhague, il a semé les abords d’un grand hôpital de légumes géants fracturés de lignes, comme passés à une IRM, des œuvres combinant les vertus médicinales des carottes, brocolis ou de l’ail avec les techniques de pointe. Près du Bryggebroen, dans un nouveau quartier moderne de Copenhague, il a installé trois sculptures colorées émergeant d’un canal pour servir de marqueurs face à une potentielle montée des eaux, et d’habitats spécialement adaptés aux espèces sous-marines.
L’eau irrigue d’ailleurs la production de SUPERFLEX. Dans une vidéo de 2008 présentée pour la première fois à la South London Gallery l’année suivante, le collectif a recréé l’intérieur d’un McDonald’s vidé de ses occupants et progressivement envahi par l’eau, gobelets et cartons ornés de la marque américaine flottant comme dans une fin du monde… Ironie du sort, la vidéo est présentée à quelques pas d’un vrai « McDo » sur la plus belle avenue du monde. Dénonciation du consumérisme à tous crins qui conduit inéluctablement à la pollution et au cataclysme écologique, vers la fin de l’humanité ? Non sans une ironie mordante, le trio a nommé Après vous, le déluge d’autres œuvres complémentaires installées dans le magasin des Galeries Lafayette, plus bas sur les Champs-Élysées.
Et si la solution venait des abysses ? Le groupe d’artistes semble le suggérer à travers Vertical Migration, œuvre de 2021. Pour ce film d’animation, l’équipe a recréé par ordinateur, avec le concours de l’université danoise de technologie, un siphonophore – une étonnante créature sous-marine fluorescente – plus vraie que nature. Le spectateur finit par épouser la vision de la bête tentaculaire… Pour les artistes, le film tisse une métaphore entre l’existence de la créature et les humains, qui seront contraints à se hisser toujours plus haut avec la montée du niveau des mers. Coup d’éclat de SUPERFLEX : cette œuvre hypnotique a été projetée dans un format monumental sur l’un des murs du siège des Nations Unies à New York. Tout un symbole.